Annales
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1999

SUJET 1 : ÉTUDE D'UN TEXTE ARGUMENTATIF

Théophile, précepteur du prince Théodose, lui raconte l'histoire suivante : un jeune prince orgueilleux et méprisant vient d'avoir un fils. Au moment de la naissance, un deuxième enfant, fils d'une esclave, en tous points semblable au premier, a été placé dans la chambre.

THÉOPHILE
Sur ces entrefaites, le prince, impatient de voir son fils, arrive et demande qu'on le lui montre. Hélas ! seigneur, on ne saurait, lui dit-on, d'un air consterné ; il ne vous est né qu'un prince, et nous venons de trouver deux enfants l'un auprès de l'autre ; les voilà, et de vous dire lequel des deux est votre fils, c'est ce qui nous est absolument impossible. Le prince, en pâlissant, regarde ces deux enfants, et soupire de ne pas savoir à laquelle de ces petites masses de chair encore informes il doit ou son amour ou son mépris. Eh ! quel est donc l'insolent qui a osé faire cet outrage au, sang de ses maîtres, s'écria-t-il ? A peine achevait-il cette exclamation, que tout à coup le roi parut, suivi de trois ou quatre des plus vénérables seigneurs de l'Empire. Vous me paraissez bien agité, mon fils, lui dit le roi ; il me semble même avoir entendu que vous vous plaignez d'un outrage ; de quoi est-il question ? Ah ! seigneur, lui répondit le prince, en lui montrant ces deux enfants, vous me voyez au désespoir: il n'y a point de supplice digne du crime dont il s'agit. J'ai perdu mon fils, on l'a confondu avec je ne sais quelle vile créature qui m'empêche de le reconnaître. Sauvez-moi de l'affront de m'y tromper; l'auteur de cet attentat n'est pas loin, qu'on le cherche, qu'on me venge, et que son supplice effraie toute la terre.

THÉODOSE
Ceci m'intéresse.

THÉOPHILE
Il n'est pas nécessaire de le chercher : le voici, prince, c'est moi, dit alors froidement un de ces vénérables seigneurs, et dans cette action que vous appelez un crime, je n'ai eu en vue que votre gloire. Le roi se plaint de ce que vous êtes trop fier, il gémit tous les jours de votre mépris pour le reste des hommes ; et moi, pour vous aider à le convaincre que vous avez raison de les mépriser, et de les croire d'une nature bien au-dessous de la vôtre, j'ai fait enlever un enfant qui vient de naître, je l'ai fait mettre à côté de votre fils, afin de vous donner une occasion de prouver que tout confondus qu'ils sont, vous ne vous y tremperez pas, et que vous n'en verrez pas moins les caractères de grandeur qui doivent distinguer votre auguste sang d'avec le vil sang des autres. Au surplus, je n'ai pas rendu la distinction bien difficile à faire ; ce n'est même pas un enfant noble, c'est le fils d'un misérable esclave que vous voyez à côté du vôtre : ainsi la différence est si énorme entre eux, que votre pénétration va se jouer de cette faible épreuve où je la mets.

THÉODOSE
Ah! le malin vieillard !

THÉOPHILE
Au reste, seigneur, ajouta-t-il, je me suis ménagé un moyen sûr de reconnaître votre fils, il n'est point confondu pour moi ; mais s'il lest pour vous, je vous avertis que rien ne m'engagera à vous le montrer, à moins que le roi ne me l'ordonne. Seigneur, dit alors le prince à son père, d'un air un peu confus, et presque la larme à l’œil, ordonnez-lui donc qu'il me le rende. Moi ! prince, lui repartit le roi ; faites-vous réflexion à ce que vous me demandez ? est-ce que la nature n'a point marqué votre fils ? si rien ne vous l'indique ici, si vous ne pouvez le retrouver sans que je m'en mêle, eh ! que deviendra l'opinion superbe que vous avez de votre sang ? il faudra donc renoncer à croire qu'il est d'une autre sorte que celui des autres, et convenir que la nature à cet égard n'a rien fait de particulier pour nous.

THÉODOSE
Il avait plus d'esprit que moi, s'il répondit à cela.

THÉOPHILE
L'histoire nous rapporte qu'il parut rêver un instant, et qu'ensuite il s'écria tout d'un coup : Je me rends, seigneur, c'en est fait: vous avez trouvé le secret de m'éclairer; la nature ne fait que des hommes et point de princes : je conçois maintenant d'où mes droits tirent leur origine, je les faisais venir de trop loin, et je rougis de ma fierté passée. Aussitôt le vieux seigneur alla prendre le petit prince qu'il présenta à son père, après avoir tiré de dessous les linges qui l'enveloppaient un billet que le roi lui-même y avait mis pour le reconnaître. Le prince, en pleurant de joie, embrassa son fils, remercia mille fois le vieux seigneur qui avait aidé le roi dans cet innocent artifice, et voulut tout de suite qu'on lui apportât l'enfant esclave dont on s'était servi pour l'instruire, et qu'il embrassa à son tour, comme en reconnaissance du trait de lumière qui venait de le frapper. Je t'affranchis, lui dit-il, en le pressant entre ses bras ; on t'élèvera avec mon fils ; je lui apprendrai ce que je te dois, tu lui serviras de leçon comme à moi, et tu me seras toujours cher, puisque c'est par toi que je suis devenu raisonnable.

Marivaux, L'Éducation d’un prince, 1754.

1ère PARTIE: questions (10 points)
1) Dans les lignes 1 à 14, par quelles expressions les deux enfants sont-ils désignés ? En quoi ces formulations sont-elles importantes pour la suite de l'argumentation ? (2 points)
2) A la ligne 27, Théodose s'exclame " Ah! le malin vieillard! ". En quoi consiste l'astuce du vieillard ?
(3 points)
3) Lignes 31 à 34 : quel procédé le roi utilise-t-il ? Dans quelle intention ? (2 points)
4) " Tu lui serviras de leçon comme à moi. " (ligne 49): de quelle leçon s'agit-il ? (3 points)

2ème PARTIE : travail d'écriture (10 points)
A l'issue de cet entretien, le prince annonce aux parents du petit esclave qu'il a affranchi l'enfant et qu'il désire le garder et l'élever. Imaginez la réponse argumentée que pourrait faire le père ou la mère.

 

SUJET II : COMMENTAIRE LITTÉRAIRE

Minuit venait de sonner à l'horloge de l'Élysée-Bourbon. Assis dans l'embrasure d'une fenêtre, et caché sous les plis onduleux d'un rideau de moire, je pouvais contempler à mon aise le jardin de l'hôtel où je passais la soirée. Les arbres, imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse danse des morts. Puis, en me retournant de l’autre côté, je pouvais admirer la danse des vivants ! un salon splendide, aux parois d'argent et d'or, aux lustres étincelants, brillant de bougies. Là, fourmillaient, s'agitaient et papillonnaient les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées, éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamants ! des fleurs sur la tête, sur le sein, dans les cheveux, semées sur les robes ou en guirlandes à leurs pieds. C'était de légers frémissements de joie, des pas voluptueux qui faisaient rouler les dentelles, les blondes, la mousseline autour de leurs flancs délicats. Quelques regards trop vifs perçaient çà et là, éclipsaient les lumières, le feu des diamants, et animaient encore des cœurs trop ardents. On surprenait aussi des airs de tête significatifs pour les amants, et des attitudes négatives pour les maris. Les éclats de voix des joueurs, à chaque coup imprévu, le retentissement de l’or se mêlaient à la musique, au murmure des conversations; pour achever d'étourdir cette foule enivrée par tout ce que le monde peut offrir de séductions, une vapeur de parfums et l'ivresse générale agissaient sur les imaginations affolées. Ainsi, à ma droite, la sombre et silencieuse image de la mort ; à ma gauche, les décentes bacchanales de la vie: ici, la nature froide, morne, en deuil; là, les hommes en joie.
BALZAC, Sarrasine, 1830.

 1ère PARTIE: questions (4 points)
1) Relevez les indices qui permettent de préciser la position du narrateur. (2 points)
2) Lignes 8 à 11 (" Là, fourmillaient ... à leurs pieds ") : quelles observations faites-vous sur la figure de style essentielle et le rythme de cette phrase ? (2 points)

2ème PARTIE (16 points)
Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

 

SUJET III : DISSERTATION SUR UN SUJET LITTÉRAIRE
Les candidats qui choisissent ce sujet composeront
Sur le sujet A, s'ils sont en série L
Sur le sujet B, s'ils sont en série ES ou S

Sujet A : série L
Dans la préface d'une édition moderne des Châtiments, un critique déclare : " Les Châtiments sont un livre actuel ". Que pensez-vous de cette affirmation ?

Sujet B : séries ES-S
Dans le théâtre du XXème siècle, les personnages mythiques sont généralement tout à fait hors du commun et délibérément rendus proches des hommes.
Dans la pièce que vous avez étudiée, avez-vous senti cette double dimension ?

Session de septembre 1999

Le candidat doit traiter l'un des trois sujets suivants, au choix

 SUJET TYPE I : ETUDE D'UN TEXTE ARGUMENTATIF

Considérée dans la personne de l'auteur, la littérature est une profession singulière. Le matériel est réduit à une plume et à quelques feuilles de papier ; l'apprentissage, le métier est ce que l'on veut: de durée nulle ou infinie. La matière première est aussi tout ce que l'on veut elle se trouve partout ; dans la rue, dans le cœur, dans le bien et dans le mal. Et quant au travail lui-même, il est indéfinissable, car chacun peut dire qu'il appartient à cette profession et qu'il prétend d'y être maître.
Mais considérons à présent d'un œil sans complaisance cette bizarre situation sociale. Dépouillons l'écrivain du lustre que lui conserve encore la tradition et regardons-le dans la réalité de sa vie d'artisan d'idées et de praticien du langage écrit. A quoi, à qui fait donc songer cet homme occupé sous sa lampe, enfermé entre ses livres et ses murs, étrangement absorbé ou agité ; en proie à je ne sais quels débats dont les objets sont invisibles ; animé, arrêté tout à coup, mais, finalement, toujours revenant à son établi, et griffonnant ou frappant la machine ? Ecartons l'image romantique du poète échevelé, au front fatal, qui se sent devenir lyre ou harpe au milieu des tempêtes ou dans la nuit, sous la lune, au bord d'un lac... Rien de bon ne se fait en ces circonstances extraordinaires. Les beaux vers se mûrissent au lendemain de l'inspiration.
Voyons donc l'auteur d'un ouvrage. A quoi ressemble la condition de ce travailleur ?
En vérité, la littérature, telle qu'elle est, se rapproche singulièrement de quelqu'un de ces petits métiers en chambre (1), comme il y en a encore tant à Paris ; et elle en est un par bien des aspects. Le poète fait songer à ces industriels ingénieux qui fabriquent, en vue de la Noël ou du Jour de l'an, des jouets remarquables par l'invention, par la surprise organisée, et qui sont faits avec des matériaux de fortune. Le poète puise les siens dans le langage ordinaire. Il a beau évoquer le ciel et la terre, soulever des tempêtes, ranimer nos émotions, suggérer ce qu'il y a de plus délicieux ou de plus tragique dans la profondeur des êtres, disposer de la nature, de l'infini, de la mort, des dieux et des beautés, il n'en est pas moins, aux yeux de l'observateur de ses faits et gestes, un citoyen, un contribuable, qui s'enferme à telle heure devant un cahier blanc, et qui le noircit, parfois silencieusement, parfois donnant de la voix, et marchant de long en large entre porte et fenêtre. Vers 1840, un Victor Hugo est un auteur très rangé, qui habite bourgeoisement un appartement dans le Marais (2) ; il paye son loyer, ses impôts ; c'est un producteur modèle. Mais que fait-il ? Que produit-il ? Et quel est le type de son industrie ? Le même observateur, froidement exact, constatera que les produits de cette petite industrie ont une valeur variable, aussi précaire que celle des produits du fabricant de jouets, de l’article de Paris, qui travaille lui aussi en chambre, à deux pas de là, dans la rue des Archives ou dans la rue Vieille-du-Temple.
Mais cette valeur, celle qui sortira des mains du poète, est complexe, elle est double, et, dans les deux cas, elle est essentiellement incertaine. Elle se compose d'une part qui est réelle, (c'est-à-dire qui s'échange quelquefois contre de l'argent), et d'une part qui est fumée, - fumée étrange en vérité, fumée qui se condensera un jour, peut-être, en quelque œuvre monumentale de marbre ou de bronze, créant autour d'elle un rayonnement puissant et durable, la gloire. Mais encore, réelle ou idéale, cette valeur est incommensurable: elle ne peut pas être mesurée par les unités de mesure dont dispose la société. Une œuvre de l'art vaut un diamant pour les uns, un caillou pour les autres. On ne peut pas l'évaluer en heures de travail; elle ne peut donc figurer comme monnaie universellement utilisable dans l’ensemble des échanges.
 
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, " Notre destin et les lettres ", 1937.

(1) quelqu'un de ces petits métiers en chambre : l'un de ces métiers animaux pratiqués autrefois dans une pièce d'appartement (exemple: couturière, chapelier... ).
(2) Marais : quartier de Paris.

1ère PARTIE : questions 1ère PARTIE : questions (10 points)
1) En vous appuyant sur les lignes 6 à 23, relevez les diverses expressions qui caractérisent l'écrivain. Classez-les et justifiez votre classement. (3 points)
2) Dans le deuxième paragraphe (ligne 6 à 13), reformulez les deux conceptions de l'écrivain évoquées par Paul Valéry. (2 points)
3) Comment Paul Valéry implique-t-il le lecteur ? (2 points)
4) Dans le dernier paragraphe, par quels moyens Paul Valéry montre-t-il que la " valeur " de l'œuvre est " complexe " et " incertaine " ? (3 points)

2ème PARTIE : travail d'écriture 2ème PARTIE : travail d'écriture (10 points)
" La matière première est [ ... ] tout ce que l'on veut, elle se trouve partout; dans la rue, dans le cœur, dans le bien et dans le mal. " (lignes 3 et 4). Développez l'idée exprimée ici par Paul Valéry.

 SUJET TYPE II : COMMENTAIRE LITTERAIRE

Poème dédié à la Comtesse Louise de Coligny, dite Lou.

Je t'écris ô mon Lou de la hutte en roseaux
Où palpitent d'amour et d'espoir neuf cœurs d'hommes
Les canons font partir leurs obus en monômes (1)
Et j’écoute gémir la forêt sans oiseaux

Il était une fois en Bohême un poète
Qui sanglotait d'amour puis chantait au soleil
Il était autrefois la comtesse Alouette
Qui sut si bien mentir qu'il en perdit la tête
En perdit sa chanson en perdit le sommeil

Un jour elle lui dit Je t'aime ô mon poète
Mais il ne la crut pu et sourit tristement
Puis sen fut en chantant Tire-lire(2) Alouette
Et se cachait au fond d'un petit bois charmant

Un soir en gazouillant son joli tire-lire
La comtesse Alouette arriva dans le bois
Je t'aime ô mon poète et je viens te le dire
Je t'aime pour toujours Enfin je te revois
Et prends-la pour toujours mon âme qui soupire

O cruelle Alouette au cœur dur de vautour
Vous mentîtes encore au poète crédule
J'écoute la forêt gémir au crépuscule
La comtesse s'en fut et puis revint un jour
Poète adore-moi moi j’aime un autre amour

Il était une fois un poète en Bohême
Qui partit à la guerre on ne sait pas pourquoi
Voulez-vous être aimé n'aimez pas croyez-moi
Il mourut en disant Ma comtesse je t'aime
Et j'écoute à travers le petit jour si froid
Les obus s'envoler comme l’amour lui-même

10 avril 1915.
Apollinaire, Poèmes à Lou, section XXXIV.

(1) monôme (vers 3) : cortège d'étudiants fêtant la fin des examens.
(2) Tire-lire (vers 12): expression empruntée à une chanson populaire.

1ère PARTIE questions 1ère PARTIE questions (4 points)
1) Classez les différents " je " et " vous " en les identifiant (2 points)
2) Distinguez les divers lieux évoqués dans ce poème. (2 points)

2ème PARTIE : 2ème PARTIE : (16 points)
Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

 

SUJET III : DISSERTATION SUR UN SUJET LITTERAIRE

Sujet A : série L

A. Camus écrit : " Les mythes sont faits pour que l’imagination les anime ".
La pièce du XXe siècle que vous avez étudiée vous paraît-elle illustrer cette affirmation ?

Sujet B : Séries ES-S

Un éditeur contemporain écrit :
" La modernité n’a rien à voir avec la date de parution. Des textes écrits il y a plusieurs siècles sont sont résolument modernes. Ils répondent parfois mieux que des oeuves plus récentes à nos préoccupations. "
A votre avis, cette opinion peut-elle s’appliquer aux quatre premiers livres des Confessions de J.-J. Rousseau ?

 

1998

BACCALAUREAT GENERAL - SESSION 1998
ÉPREUVE DE FRANÇAIS Durée : 4 heures
(Première ou terminale)
Séries L-ES-S Coefficient L : 3 - ES-S : 2

SUJET 1 : ETUDE DUN TEXTE ARGUMENTATIF

On a mis dans ma chambre une vieille commode achetée chez un brocanteur, elle est en bois sombre, avec une épaisse plaque de marbre noir, des tiroirs ouverts se dégage une forte odeur de renfermé, de moisi,' ils contiennent plusieurs énormes volumes reliés en carton recouvert d'un papier noir à veinules jaunâtres... le marchand a oublié ou peut-être négligé de les retirer... c'est un roman de Ponson du Terrail, Rocambole
Tous les sarcasmes de mon père... " C'est de la camelote, ce n'est pas un écrivain, il a écrit... je n'en ai, quant à moi, jamais lu une ligne... mais il paraît qu'il a écrit des phrases grotesques... "Elle avait les mains froides comme celles d'un serpent..." c'est un farceur, il se moquait de ses personnages, il les confondait, les oubliait, il était obligé pour se les rappeler de les représenter par des poupées qu'il enfermait dans ses placards, il les en sortait à tort et à travers, celui qu'il avait fait mourir, quelques chapitres plus loin revient bien vivant... tu ne vas tout de même pas perdre ton temps... " Rien n'y fait... dès que j'ai un moment libre je me dépêche de retrouver ces grandes pages gondolées, comme encore un peu humides, parsemées de taches verdâtres, d'où émane quelque chose d'intime, de secret... une douceur qui ressemble un peu à celle qui plus tard m'enveloppait dans une maison de province, vétuste, mal aérée, où il y avait partout des petits escaliers, des portes dérobées, des passages, des recoins sombres...
Voici enfin le moment attendu où je peux étaler le volume sur mon lit, l'ouvrir à l'endroit où j'ai été forcée d'abandonner... je m'y jette, je tombe... impossible de me laisser arrêter, retenir par les mots, par leur sens, leur aspect, par le déroulement des phrases, un courant invisible m'entraîne avec ceux à qui de tout mon être imparfait mais avide de perfection je suis attachée, à eux qui sont la bonté, la beauté, la grâce, la noblesse, la pureté, le courage mêmes... je dois avec eux affronter des désastres, courir d'atroces dangers, lutter au bord de précipices, recevoir dans le dos des coups de poignard, être séquestrée, maltraitée par d'affreuses mégères, menacée d'être perdue à jamais... et chaque fois, quand nous sommes tout au bout de ce que je peux endurer, quand il n'y a plus le moindre espoir, plus la plus légère possibilité, la plus fragile vraisemblance... cela nous arrive... un courage insensé, la noblesse, l'intelligence parviennent juste à temps à nous sauver...
C'est un moment de bonheur intense... toujours très bref.. bientôt les transes, les affres me reprennent... évidemment les plus valeureux, les plus beaux, les plus purs ont jusqu'ici eu la vie sauve... jusqu'à présent... mais comment ne pas craindre que cette fois... il est arrivé à des êtres à peine moins parfaits... si, tout de même, ils l'étaient moins, et ils étaient moins séduisants, j'y étais moins attachée, mais j'espérais que pour eux aussi, ils le méritaient, se produirait au dernier moment... eh bien non, ils étaient, et avec eux une part arrachée à moi-même, précipités du haut des falaises, broyés, noyés, mortellement blessés... car le Mal est là, partout, toujours prêt à frapper... Il est aussi fort que le Bien, il est à tout moment sur le point de vaincre... et cette fois tout est perdu, tout ce qu'il peut y avoir sur terre de plus noble, de plus beau... le Mal s'est installé solidement, il n'a négligé aucune précaution, il n'a plus rien à craindre, il savoure à l'avance son triomphe, il prend son temps... et c'est à ce moment-là qu'il faut répondre à des voix d'un autre monde... " Mais on t'appelle, c'est servi, tu n'entends pas ? " ... il faut aller au milieu de ces gens petits, raisonnables, prudents, rien ne leur arrive, que peut-il arriver là où ils vivent... là tout est si étriqué, mesquin, parcimonieux... alors que chez nous là-bas, on voit à chaque instant des palais, des hôtels, des meubles, des objets, des jardins, des équipages de toute beauté, comme on n'en voit jamais ici, des flots de pièces d'or, des rivières de diamants... " Qu'est-ce qu'il arrive à Natacha " J'entends une amie venue dîner poser tout bas cette question à mon père... mon air absent, hagard, peut-être dédaigneux a dû la frapper... et mon père lui chuchote à l'oreille... " Elle est plongée dans Rocambole " L'amie hoche la tête d'un air qui signifie : " Ah, je comprends... "
Mais qu'est-ce qu'ils peuvent comprendre...

Nathalie SARRAUTE, Enfance, 1983.

1ère PARTIE : questions (10 points)
1) Dans les lignes 6 à 12, comment les critiques émises par le père sont-elles discréditées ? 2points
2) " Voici enfin le moment... " (ligne 17) jusqu'à la fin du texte qui est désigné par le pronom " nous " ? 2 points
3) Lignes 37 à 45 :
- Relevez les indications de lieu. Quels sont les deux espaces auxquels elles renvoient ? 2 points
- Comment ces deux espaces sont-ils caractérisés ? 1 point
4) Quelle conception de la lecture défend la narratrice ? 3 points

2ème PARTIE : travail d'écriture (10 points)
Vous défendrez à votre tour le plaisir que vous avez éprouvé, malgré les objections de votre entourage, à lire, voir ou entendre une œuvre précise.
1) Dans les lignes 6 à 12, comment les critiques émises par le père sont-elles discréditées ? (2 points)
2) " Voici enfin le moment... " (ligne 17) jusqu'à la fin du texte qui est désigné par le pronom " nous " ? (2 points)
3) Lignes 37 à 45 :
- Relevez les indications de lieu. Quels sont les deux espaces auxquels elles renvoient ? (2 points)
- Comment ces deux espaces sont-ils caractérisés ? (1 point)
4) Quelle conception de la lecture défend la narratrice ? (3 points)

2ème PARTIE : travail d'écriture (10 points)
Vous défendrez à votre tour le plaisir que vous avez éprouvé, malgré les objections de votre entourage, à lire, voir ou entendre une œuvre précise.

SUJET Il : COMMENTAIRE LITTERAIRE

La Garonne est en crue : une famille de paysans est assiégée par les eaux.

Le crépuscule était venu. Une clarté louche flottait au-dessus de la nappe limoneuse. Le ciel pâle avait l'air d'un drap blanc jeté sur la terre. Au loin, des fumées traînaient. Tout se brouillait, c'était une fin de jour épouvantée s'éteignant dans une nuit de mort. Et pas un bruit humain, rien que le ronflement de cette mer élargie à l'infini, rien que les beuglements et les hennissements des bêtes !
- Mon Dieu! mon Dieu !'répétaient à demi voix les femmes, comme si elles avaient craint de parler tout haut.
Un craquement terrible leur coupa la parole. Les bêtes furieuses venaient d'enfoncer les portes des étables. Elles passèrent dans les flots jaunes, roulées, emportées par le courant. Les moutons étaient charriés comme des feuilles mortes, en bandes, tournoyant au milieu des remous. Les vaches et les chevaux luttaient, marchaient, puis perdaient pied. Notre grand cheval gris surtout ne voulait pas mourir; il se cabrait, tendait le cou, soufflait avec un bruit de forge ; mais les eaux acharnées le prirent à la croupe, et nous le vîmes abattu, s'abandonner.
Alors, nous poussâmes nos premiers cris. Cela nous vint à la gorge, malgré nous. Nous avions besoin de crier. Les mains tendues vers toutes ces chères bêtes qui s'en allaient, nous nous lamentions, sans nous entendre les uns les autres, jetant au-dehors les pleurs et les sanglots que nous avions contenus jusque-là. Ah ! c'était bien la ruine les récoltes perdues, le bétail noyé, la fortune changée en quelques heures ! Dieu n'était pas juste nous ne lui avions rien fait, et il nous reprenait tout. Je montrai le poing à l'horizon. Je parlai de notre promenade de l'après-midi, de ces prairies, de ces blés, de ces vignes, que nous avions trouvés si pleins de promesses. Tout cela mentait donc ? Le bonheur mentait. Le soleil mentait, quand il se couchait si doux et si calme, au milieu de la grande sérénité du soir.

Zola, L'Inondation, 1882.


1ère PARTIE : questions (4 points)
1) Observez et classez les différents bruits notés dans le texte. (2 points)

2) " Je montrai le poing à l'horizon " (ligne 17)
Quel sentiment exprime ici le narrateur ?
Dans les lignes 13 à 20, relevez d'autres expressions qui justifient votre réponse. (2 points)

2ème PARTIE (16 points)
Vous ferez de ce texte un commentaire composé.



SUJET III : DISSERTATION SUR UN SUJET LITTERAIRE  SERIE L

Dans sa première préface des Méditations (1849), Lamartine rappelle son impression d'enfant à propos des Fables de La Fontaine :
" Ces histoires d'animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes,, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. "
Les fables du Livre que vous avez étudié ont-elles suscité en vous la même réaction ?


SUJET III : DISSERTATION SUR UN SUJET LITTERAIRE  SERIES ES-S

" La fraternité est ce qui distingue les humains ", dit le mendiant dans Électre, à la fin de l'acte I.
Dans quelle mesure la fraternité vous paraît-elle être un thème essentiel de la pièce ?

 

Session de septembre 1998


SUJET 1 : ETUDE DUN TEXTE ARGUMENTATIF

Avec un art consommé de la reconstitution, Disneyland remet au monde époques et cultures qui coexistent en bonne intelligence dans cet espace bienveillant. Et sur les tipis du Peau Rouge comme sur l’auberge de Cendrillon, une même tonalité à base d'ocre, de rose et de pastel fond les contrées recréées dans une même patine suave et caressante, fabrique de la concorde avec du divers. Dans cette encyclopédie puérile de l'histoire mondiale (où même la nature est réélaborée), les siècles et les nations lointaines peuvent revenir mais dépouillés de leur aspect inquiétant : cet heureux pot-pourri est façonné selon les lois de l’asepsie(1). Il n'offre que le parfum frelaté des époques révolues, non leur vérité.
L'entreprise d'édulcoration(2) culmine à Fantasyland dans l'attraction " Un tout petit monde ", hymne à la douceur des enfants de la planète : il s'agit d'une croisière à bord de bateaux plats sur une rivière souterraine et, de chaque côté de la berge, des poupées vêtues de leur costume national dansent et chantent des ritournelles exaspérantes dans des décors représentant leur pays d'origine. Défilent ainsi les savanes de l'Afrique, la tour Eiffel, Big Ben, le Taj Mahal dans un cosmopolitisme primaire qui a toutes les allures d'un prospectus touristique bon marché. Qu'il s'agisse d'une collection de poncifs(3) n'a d'ailleurs aucune importance. L'essentiel est d'exorciser la violence éventuelle des coutumes distantes, l'essentiel est de célébrer l'étranger sans qu'il paraisse étrange [...]
Races, civilisations, croyances, peuplades peuvent se côtoyer sans risques puisqu'on les a vidées au préalable, nettoyées de leurs aspérités, réduites à leur aspect folklorique. Ces différences, sources de différends, n'ont plus d'importance et n'arrêtent pas le large courant de sympathie et de bonté ardente qui circule ici. Réduit à merci par le parc à thèmes, le monde extérieur n'est plus qu'une impureté anodine, un déchet puisqu'il en existe un double où la mort, la maladie, la méchanceté sont annulées, où rien ne pèse, rien n'a d'importance.
En apparence, le royaume enchanté marque l'apothéose du conte de fées : on y retrouve nos personnages familiers mêlés à ceux de Walt Disney. Ils sont tous là comme s'ils venaient de sortir de l'écran d'un dessin animé ou des pages d'un livre : ils viennent à notre rencontre, nous esquissons avec eux un pas de danse, rions avec Bambi, Djumbo l'éléphant volant ou les Sept Nains et nous pouvons même nous vêtir comme eux, porter par mimétisme une paire d'oreilles de Mickey, nous déguiser pendant quelques heures en héros de fables. Mais cette familiarité est trompeuse et l'on est aussi loin ici du conte classique européen que du premier Walt Disney, autrement plus corrosif et caustique. Si les fantômes, les reines cruelles, les têtes de mort sont présents, c'est à titre de concession à l'univers de nos légendes : ils ne remettent jamais la bonne humeur en question. Seule règne la logique optimiste du happy end : Pinocchio, Blanche-Neige, le Capitaine Crochet, le Chapelier Fou, le Chat de Chester défilent mais embaumés dans leurs stéréotypes, détachés des histoires de Grimm, Carroll, Perrault, Collodi qui leur donnaient sens et épaisseur. Le conte de fées, comme l’a bien marqué Bruno Bettelheim. est le passage de l'angoisse éprouvée à l'angoisse surmontée à travers un récit qui raconte à l'enfant ses propres complexes et pulsions inavouables. C'est un guide subtil qui oriente fantasmes et ambivalences vers un dénouement cohérent. En ce sens il a bien une fonction éducative, il discipline le chaos intérieur nonobstant(4) les violences qu'il déploie et qui ont effrayé bien des éducateurs.
Rien de tel dans le domaine magique de Mickey : là tout est lisse, propre, impeccable, toute liaison narrative est oubliée, l'histoire est désarticulée, elle n'est plus qu'une suite d'attractions qui se décomposent en saynètes, petits tableaux, épisodes semés au hasard. La fiction ne peut que se consommer et se contempler, plus se raconter. La force de Disney est d'avoir su, par le biais de cette présentation, recycler toutes les mythologies de l'enfance en une seule, la sienne, depuis Les Mille et une Nuits jusqu'à Lancelot du Lac. Et ce melting-pot des imaginaires européens et orientaux, en éludant leur ambiguïté, élude aussi leur pouvoir d'envoûtement.
C'est donc moins l'enfance qu'exalte ce vaste enclos que l'ensemble des signes et représentations qui se sont fixés sur elle : moins l'enfantin que le puéril.

Pascal BRUCKNER, La Tentation de l'innocence, (Bernard Grasset, 1995, pages 110, 111, 112)

NOTES :
(1) asepsie : élimination des microbes
(2) édulcoration :adoucissement obtenu par un sucre
(3) poncif : représentation banale
(4) nonobstant : en dépit de, malgré

QUESTIONS (10 points)
1) Dans les deux premiers paragraphes, comment le lexique contribue-t-il à la dévalorisation du monde reconstitué par Disneyland ? (3 points)
2) En vous appuyant sur les connecteurs logiques, vous mettrez en évidence la structure argumentative des trois derniers paragraphes. (ligne 21 jusqu’à la fin). (4 points)
3) Quelle différence peut-on établir entre " enfantin " et " puéril " (dernière ligne) ? justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur le texte. (3 points)

TRAVAUX D'ECRITURE (10 points)
Vous exprimerez dans un développement composé votre opinion au sujet de ces parcs où " tout est lisse propre, impeccable " et où la bonne humeur est une obligation.


SUJET Il : COMMENTAIRE LITTERAIRE

Gilliatt le marin, parti seul en mer, vient de retrouver l'épave qu’il cherchait, gisant dans les terribles écueils des Douvres, au large des îles anglo-normandes.

Ce que Gilliatt, du haut de l’épave, pouvait apercevoir du défilé, faisait horreur. Il y a souvent dans les gorges granitiques de l'océan une étrange figuration permanente du naufrage. Le défilé des Douvres avait la sienne, effroyable. Les oxydes de la roche mettaient sur l'escarpement, çà et là, des rougeurs imitant des plaques de sang caillé. C'était quelque chose comme l’exsudation(l) saignante d'un caveau de boucherie.
Il y avait du charnier dans cet écueil. La rude pierre marine, diversement colorée, ici par la décomposition des amalgames métalliques mêlés à la roche, là par la moisissure, étalait par places des pourpres affreuses, des verdissements suspects, des éclaboussures vermeilles, éveillant une idée de meurtre et d'extermination. On croyait voir le mur pas essuyé d'une chambre d'assassinat. On eût dit que des écrasements d'hommes avaient laissé là leur trace; la roche à pic avait on ne sait quelle empreinte d'agonies accumulées. En de certains endroits ce carnage paraissait ruisseler encore, la muraille était mouillée et il semblait impossible d'y appuyer le doigt sans le retirer sanglant. Une rouille de massacre apparaissait partout.
Au pied du double escarpement parallèle, épars à fleur d'eau ou sous la lame, ou à sec dans les affouillernents(2), de monstrueux galets ronds, les uns écarlates, les autres noirs ou violets, avaient des ressemblances de viscères ; on croyait voir des poumons frais, ou des foies pourrissant.
On eût dit que des ventres de géants avaient été vidés là. De longs fils rouges, qu'on eût pu prendre pour des suintements funèbres, rayaient du haut en bas le granit.
Ces aspects sont fréquents dans les cavernes de la mer.


Victor HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866 (Editions GF, page 366)

NOTES :
(1) exsudation : suintement
(2) affouillements : creusements produits par l'eau

QUESTIONS D'OBSERVATION (4 points)
1) Commentez le vocabulaire des couleurs. Quel est l’effet produit par la couleur dominante? (2 points)
2) Aux lignes 4 et 5, l'expression " C'était quelque chose comme... " introduit un élément de la description. Quels autres procédés introducteurs repérez-vous ? Que peut-on remarquer ? (2 points)

COMMENTAIRE COMPOSÉ (16 points)
Vous ferez un commentaire composé de cet extrait des Travailleurs de la mer.


SUJET III : DISSERTATION SUR UN SUJET LITTERAIRE

Un dictionnaire propose du terme de " confession " les définitions suivantes :
" 1) Déclaration, aveu de ses péchés que l’on fait à un prêtre.
  2) Déclaration que l’on fait d'un acte blâmable.
  3) Action de déclarer publiquement sa foi religieuse".

Sans reprendre ce classement, vous direz dans quelle mesure les quatre premiers livres des Confessions vous semblent correspondre à ces définitions.

 

1997

ÉPREUVE DE FRANÇAIS Durée : 4 heures 1997
(Première ou terminale)
Séries L-ES-S Coefficient L : 3 - ES-S :
L'usage des dictionnaires et des calculatrices est interdit.

 Etude d'un texte argumentatif

 La lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. A peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer.
Si l’on ne doit rien exiger des enfants par obéissance, il s’ensuit qu’ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l’avantage actuel et présent, soit d’agrément, soit d’utilité ; autrement quel motif les porterait à l’apprendre ? L’art de parler aux absents et de les entendre, l’art de leur communiquer au loin nos sentiments, nos volontés, nos désirs, est un art dont l’utilité peut être rendue sensible à tous les âges. Par quel prodige cet art si utile et si agréable est-il devenu un tourment pour l’enfance ? Parce qu’on la contraint de s’y appliquer malgré elle, et qu’on le met à des usages auxquels elle ne comprend rien. Un enfant n’est pas fort curieux de perfectionner l’instrument avec lequel on le tourmente ; mais faites que cet instrument serve à ses plaisirs, et bientôt il s’y appliquera malgré vous.
On se fait une grande affaire de chercher les meilleures méthodes d’apprendre à lire : on invente des bureaux, des cartes ; on fait de la chambre d’un enfant un atelier d’imprimerie. Locke veut qu’il apprenne à lire avec des dés. Ne voilà-t-il pas une invention bien trouvée ? Quelle pitié ! Un moyen plus sûr que tout cela, et celui qu’on oublie toujours, est le désir d’apprendre. Donnez à l’enfant ce désir, puis laissez-là vos bureaux et vos dés, toute méthode lui sera bonne.
L’intérêt présent, voilà le grand mobile, le seul qui mène sûrement et loin. Émile reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, des ses amis, des billets d’invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique. Ces billets sont courts, clairs, nets, bien écrits. Il faut trouver quelqu’un qui les lui lise ; ce quelqu’un, ou ne se trouve pas toujours à point nommé, ou rend à l’enfant le peu de complaisance que l’enfant eut pour lui la veille. Ainsi l’occasion, le moment se passe. On lui dit enfin le billet, mais il n’est plus temps. Ah ! si l’on eût su lire soi-même ! On en reçoit d’autres : ils sont si courts ! Le sujet est si intéressant ! on voudrait essayer de les déchiffrer : on trouve tantôt de l’aide et tantôt des refus. On s’évertue, on déchiffre enfin la moitié d’un billet : il s’agit d’aller demain manger de la crème... on ne sait où ni avec qui... Combien on fait d’effort pour lire le reste ! Je ne crois pas qu’Emile ait besoin du bureau. Parlerai-je à présent de l’écriture ? Non, j’ai honte de m’amuser à ces niaiseries dans un traité de l’éducation.
J’ajoutera ce seul mot qui fait une importante maxime : c’est que, d’ordinaire, on obtient très sûrement et très vite ce qu’on n’est pas pressé d’obtenir. Je suis presque sûr qu’Émile saura parfaitement lire et écrire avant l’âge de dix ans, précisément parce qu’il m’importe fort peu qu’il le sache avant quinze ; mais j’aimerais mieux qu’il ne sût jamais lire que d’acheter cette science au prix de tout ce qui peut la rendre utile : de quoi lui servira la lecture quand on l’en aura rebuté pour jamais ?
Plus j’insiste sur ma méthode inactive, plus je sens les objections se renforcer. Si votre élève n’apprend rien de vous, il apprendra des autres. Si vous ne prévenez l’erreur par la vérité, il apprendra des mensonges ; les préjugés que vous craignez de lui donner, il les recevra de tout ce qui l’environne, ils entreront par tous ses sens ; ou ils corrompront sa raison, même avant qu’elle soit formée, ou son esprit, engourdi par une longue inaction, s’absorbera dans la matière. L’inhabitude de penser dans l’enfance en ôte la faculté durant le reste de la vie.
Il me semble que je pourrais aisément répondre à cela. 

Rousseau, Émile ou de l’Éducation, LivreII (1762)

1ère partie : questions (10 points)
1. Dans le deuxième paragraphe, sur quelle motivation se fonde le désir d’apprendre ?Quels sont les deux mots qui explicitent cette motivation ? (3 points)
2.Que désignent les périphrases des lignes 7 à 9 (1 point)
3." Émile reçoit quelquefois... du bureau " (lignes 20 à 30) Quel rôle joue ce passage dans l’argumentation ? Quels procédés le rendent particulièrement vivant ? (4 points)
4.A partir des lignes 39-40 " Si votre élève... ", qui est désigné par l’adjectif possessif et les pronoms de la deuxième personne ? (2 points) 1. Dans le deuxième paragraphe, sur quelle motivation se fonde le désir d’apprendre ?Quels sont les deux mots qui explicitent cette motivation ? (3 points)
2.Que désignent les périphrases des lignes 7 à 9 (1 point)
3." Émile reçoit quelquefois... du bureau " (lignes 20 à 30) Quel rôle joue ce passage dans l’argumentation ? Quels procédés le rendent particulièrement vivant ? (4 points)
4.A partir des lignes 39-40 " Si votre élève... ", qui est désigné par l’adjectif possessif et les pronoms de la deuxième personne ? (2 points) 

2ème partie : travail d’écriture (10 points)
"L’intérêt présent " est-il, à votre avis, le seul mobile qui incite à apprendre ? Quelle que soit votre réponse, vous l’exposerez dans un développement argumenté.

ANTILLES-GUYANE 1997 - JUIN 1997, SÉRIES L, ES, S

 Sujet Il : Commentaire littéraire

La fête à Neuilly

Une horloge sonne douze coups
Qui sont ceux de minuit
Adorable soleil des enfants endormis
Dans une ménagerie
A la fête de Neuilly
Un ménage de dompteurs se déchire
Et dans leurs cages
Les lions rugissent allongés et ravis
Et font entre eux un peu de place
Pour que leurs lionceaux aussi
Puissent jouir du spectacle
Et dans les éclairs de l'orage
Des scènes de ménage des maîtres de la ménagerie
Un pélican indifférent
Se promène doucement
En laissant derrière lui dans la sciure mouillée
La trace monotone de ses pattes palmées
Et par la déchirure de la toile de tente déchirée
Un grand singe triste et seul
Aperçoit dans le ciel
La lune seule comme lui
La lune éblouie par la terre
Baignant de ses eaux claires les maisons de Neuilly
Baignant de ses eaux claires
Toutes les pierres de lune des maisons de Paris
Une horloge sonne six coups
Elle ajoute un petit air
Et c'est six heures et demie
Les enfants se réveillent
Et la fête est finie
Les forains sont partis
La lune les a suivis.

Jacques Prévert (1917) Histoires, 1946.

Questions d'observation (4 points)

1) Montrez la place des notations temporelles dans la structure du texte. (2 points)
2) Dans la deuxième strophe, relevez quelques mots ou expressions qui donnent à la fête un caractère inhabituel, en justifiant votre choix. (2 points)

Commentaire composé (16 points)

Session de septembre 1997

Septembre 1997
Antilles - Guyane - Séries générales
Septembre 1997
Antilles - Guyane - Séries générales
Septembre 1997
Antilles - Guyane - Séries générales
Etude d'un texte argumentatif

 TEXTE A : Au soleil (1884)

Quoi que nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous croyions, quoi que nous pensions, quoi que nous tentions, nous mourrons, Et il semble qu'on va mourir demain sans rien connaître encore, bien que dégoûté de tout ce qu'on connaît. Alors on se sent écrasé sous le sentiment de 1'" éternelle misère de tout ", de l'impuissance humaine et de la monotonie des actions.
On se lève, on marche, on s'accoude à sa fenêtre. Des gens en face déjeunent, comme ils déjeunaient hier, comme ils déjeuneront demain : le père, la mère, quatre enfants. Voici trois ans, la grand-mère était encore là. Elle n'y est plus. Le père a bien changé depuis que nous sommes voisins. Il ne s'en aperçoit pas ; il semble content ; il semble heureux. Imbécile !
Ils parlent d'un mariage, puis d'un décès, puis de leur poulet qui est tendre, puis de leur bonne qui n’est pas honnête. Ils s'inquiètent de mille choses inutiles et sottes. Imbéciles !
La vue de leur appartement, qu’ils habitent depuis dix-huit ans, m'emplit de dégoût et d'indignation. C'est cela, la vie ! Quatre murs, deux portes, une fenêtre, un lit, des chaises, une table, voilà ! Prison, prison ! Tout logis qu'on habite longtemps devient prison !
Oh ! Fuir, partir ! Fuir les lieux connus, les hommes, les mouvements pareils aux mêmes heures, et les mêmes pensées, surtout !
Quand on est las, las à pleurer du matin au soir, las à ne plus avoir la force de se lever pour boire un verre d'eau, las des visages amis vus trop souvent et devenus irritants, des odieux et placides voisins, des choses familières et monotones, de sa maison, de sa rue, de sa bonne qui vient dire : " que désire Monsieur pour son dîner ? ", et qui s'en va en relevant à chaque pas, d'un ignoble coup de talon, le bord effiloqué de sa jupe sale, las de son chien trop fidèle, des taches immuables des tentures, de la régularité des repas, du sommeil dans le même lit, de chaque action répétée chaque jour, las de soi-même, de sa propre voix, des choses qu'on répète sans cesse, du cercle étroit de ses idées, las de sa figure vue dans la glace, des mines qu'on fait en se rasant, en se peignant, il faut partir, entrer dans une vie nouvelle et changeante.
Le voyage est une espèce de porte par où l'on sort de la réalité connue pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve.

 TEXTE B : Les Sœurs Rondoli (1884) 

Connaissez-vous rien de plus lamentable que la nuit qui tombe sur une ville étrangère ? On va devant soi au milieu d'un mouvement, d'une agitation qui semblent surprenants comme ceux de songes. On regarde ces figures qu'on n'a jamais vues, qu'on ne reverra jamais, on écoute ces voix parler de choses qui vous sont indifférentes, en une langue qu'on ne comprend même point. On éprouve la sensation atroce de l'être perdu. On a le cœur serré, les jambes molles, l'âme affaissée. On marche comme si on fuyait, on marche pour ne pas rentrer dans l'hôtel où on se trouverait plus perdu encore parce qu'on y est chez soi, dans le chez-soi payé de tout le monde, et on finit par tomber sur la chaise d'un café illuminé, dont les dorures et les lumières vous accablent mille fois plus que les ombres de la rue. Alors, devant le bock baveux apporté par un garçon qui court, on se sent si abominablement seul qu'une sorte de folie vous saisit, un besoin de partir, d'aller autre part, n’importe où, pour ne pas rester là, devant cette table de marbre et sous ce lustre éclatant. Et on s'aperçoit soudain qu'on est vraiment et toujours et partout seul au monde, mais que dans les lieux connus, les coudoiements familiers vous donnent seulement l'illusion de la fraternité humaine. C'est en ces heures d'abandon, de noir isolement dans les cités lointaines qu'on pense largement, clairement et profondément. C'est alors qu'on voit bien toute la vie d'un seul coup d'œil en dehors de l'optique d'espérance éternelle, en dehors de la tromperie des habitudes prises et de l'attente du bonheur toujours rêvé.
C'est en allant loin qu'on comprend bien comme tout est proche et court et vide ; c'est en cherchant l'inconnu qu'on s'aperçoit bien comme tout est médiocre et vite fini ; c'est en parcourant la terre qu'on voit bien comme elle est petite et sans cesse à peu près pareille.

Guy de Maupassant (1850-1893), Au soleil, 1884  et Les sœurs Rondoli , 1884

Questions (10 points)
1. En observant le premier paragraphe du texte A (Au soleil) et le dernier paragraphe du texte B. (Les Sœurs Rondoli), dites quel est le constat commun. (2 points)
2. Comment est organisée la progression dans chacun des deux textes ? Quelle différence observez-vous à propos du voyage ? (4 points)
3. Quels sont les procédés d'écriture communs aux deux textes qui visent à persuader le lecteur ? (4 points)

Travail d'écriture (10 points)
Travail d'écriture (10 points)
 " Tout logis qu'on habite longtemps devient prison ! " Réfutez ce jugement.

 

ANTILLES, SEPTEMBRE 1997, SÉRIES L, ES, S

Sujet Il : Commentaire littéraire

 Le vingt-deux septembre

Un vingt-e (1)-deux septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous...
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus, au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles (2) :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous...
Le complexe d'Icare (3) à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous...
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de cœur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque (4) en souvenir de vous...
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous.

Georges Brassens (1921-1981) Poèmes et chansons (1973)

(1)Voyelle ajoutée pour les besoins de la versification.
(2) Allusion au poème de Prévert dans lequel deux escargots vont à l’enterrement d’une feuille morte
(3) Icare : personnage de la mythologie. Icare s’envola grâce à des ailes fixées avec de la cire. Mais il s’approcha si près du soleil que la cire fondit et qu’il tomba dans la mer.
(4) Battre la breloque (expression familière) : marcher irrégulièrement en parlant d’une montre, et, par extension, du cœur.

Questions d’observation (4 points)

1. Relevez les indices qui justifient le choix du vingt-deux septembre. (1 point)
2. Sur quels registres de langue opposés joue Brassens ? Citez un exemple de chacun d’eux. (1 point)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le dernier vers ? (2 points)

Commentaire composé (16 points)

Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

Travail d'écriture (10 points)
 " Tout logis qu'on habite longtemps devient prison ! " Réfutez ce jugement.

 

ANTILLES, SEPTEMBRE 1997, SÉRIES L, ES, S

Sujet Il : Commentaire littéraire

 Le vingt-deux septembre

Un vingt-e (1)-deux septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous...
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus, au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles (2) :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous...
Le complexe d'Icare (3) à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous...
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de cœur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque (4) en souvenir de vous...
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous.

Georges Brassens (1921-1981) Poèmes et chansons (1973)

(1)Voyelle ajoutée pour les besoins de la versification.
(2) Allusion au poème de Prévert dans lequel deux escargots vont à l’enterrement d’une feuille morte
(3) Icare : personnage de la mythologie. Icare s’envola grâce à des ailes fixées avec de la cire. Mais il s’approcha si près du soleil que la cire fondit et qu’il tomba dans la mer.
(4) Battre la breloque (expression familière) : marcher irrégulièrement en parlant d’une montre, et, par extension, du cœur.

Questions d’observation (4 points)

1. Relevez les indices qui justifient le choix du vingt-deux septembre. (1 point)
2. Sur quels registres de langue opposés joue Brassens ? Citez un exemple de chacun d’eux. (1 point)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le dernier vers ? (2 points)

Commentaire composé (16 points)

Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

" Tout logis qu'on habite longtemps devient prison ! " Réfutez ce jugement.

 

ANTILLES, SEPTEMBRE 1997, SÉRIES L, ES, S

Sujet Il : Commentaire littéraire

 Le vingt-deux septembre

Un vingt-e (1)-deux septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous...
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus, au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles (2) :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous...
Le complexe d'Icare (3) à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous...
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de cœur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque (4) en souvenir de vous...
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous.

Georges Brassens (1921-1981) Poèmes et chansons (1973)

(1)Voyelle ajoutée pour les besoins de la versification.
(2) Allusion au poème de Prévert dans lequel deux escargots vont à l’enterrement d’une feuille morte
(3) Icare : personnage de la mythologie. Icare s’envola grâce à des ailes fixées avec de la cire. Mais il s’approcha si près du soleil que la cire fondit et qu’il tomba dans la mer.
(4) Battre la breloque (expression familière) : marcher irrégulièrement en parlant d’une montre, et, par extension, du cœur.

Questions d’observation (4 points)

1. Relevez les indices qui justifient le choix du vingt-deux septembre. (1 point)
2. Sur quels registres de langue opposés joue Brassens ? Citez un exemple de chacun d’eux. (1 point)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le dernier vers ? (2 points)

Commentaire composé (16 points)

Vous ferez de ce texte un commentaire composé.


 

ANTILLES, SEPTEMBRE 1997, SÉRIES L, ES, S

Sujet Il : Commentaire littéraire

 Le vingt-deux septembre

Un vingt-e (1)-deux septembre au diable vous partîtes,
Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous...
Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre,
Plus une seule larme à me mettre aux paupières :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

On ne reverra plus, au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles (2) :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous...
Le complexe d'Icare (3) à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous...
Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Désormais, le petit bout de cœur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque (4) en souvenir de vous...
Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
À peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-e-deux septembre, aujourd'hui, je m'en fous.

Et c'est triste de n'être plus triste sans vous.

Georges Brassens (1921-1981) Poèmes et chansons (1973)

(1)Voyelle ajoutée pour les besoins de la versification.
(2) Allusion au poème de Prévert dans lequel deux escargots vont à l’enterrement d’une feuille morte
(3) Icare : personnage de la mythologie. Icare s’envola grâce à des ailes fixées avec de la cire. Mais il s’approcha si près du soleil que la cire fondit et qu’il tomba dans la mer.
(4) Battre la breloque (expression familière) : marcher irrégulièrement en parlant d’une montre, et, par extension, du cœur.

Questions d’observation (4 points)

1. Relevez les indices qui justifient le choix du vingt-deux septembre. (1 point)
2. Sur quels registres de langue opposés joue Brassens ? Citez un exemple de chacun d’eux. (1 point)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur le dernier vers ? (2 points)

Commentaire composé (16 points)

Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

 

1996

Antilles-Guyane - Séries générales -
Étude d’un texte argumentatif

Cent mille spectateurs qui vocifèrent et s'enrhument, trente joueurs qui se disputent violemment un ballon et s'épuisent. Des milliers de sans-le-sou venus, en dépensant leur dernier billet, admirer des vedettes qui gagnent en quelques matches ce qu'eux-mêmes ne gagneront pas durant leur vie. Chaque jour nos journaux, nos télévisions, nous présentent ces événements comme du "  sport  ". Le résumé de ce qui s'est passé tient en quelques chiffres, le score, qui désigne le gagnant et mesure sa supériorité.
Par mille canaux, notre société nous amène à croire que le moteur de la vie est la compétition. On ne parle que de gagneurs ; il nous faut, paraît-il, préparer les enfants à entrer dans cette catégorie, faute de quoi ils seront des perdants, des minables. Cette vision effrayante du sort humain a envahi le domaine de l'activité physique ; on ne parle plus que de sport de compétition, oubliant que l'origine de ce mot est le vieux français "  desport  " qui signifiait amusement.
Oui, il s'agit de m'amuser, de profiter de la conscience que j'ai du fonctionnement de mon corps, pour en jubiler, pour obtenir de lui plus qu'il ne voulait donner. Entrer en compétition, oui, mais avec le seul compétiteur digne de moi : moi. Pourquoi vouloir sauter plus haut que X ou courir plus vite que Y ? Il est plus important de sauter aujourd'hui plus haut que moi hier, de courir plus vite que moi. Pour y parvenir, j'ai sans doute besoin de l'exemple des autres ; pour descendre de 20 à 19 secondes, aux 100 mètres, j'ai besoin de l'exemple de ceux qui sont descendus à moins de 10 secondes ; c'est là leur seule utilité.
Dans les sports d'équipe, on admet volontiers que seul compte l'ensemble constitué par les participants ; chacun est au service de tous ; le joueur trop individualiste est mal jugé. Ce constat ne doit pas être limité à chaque équipe, il faut l'étendre à la collectivité que constitue la totalité de ceux qui jouent : lorsque le " 15 de France " rencontre le " 15 du pays de Galles "(1), nous sommes face non à deux équipes qui se battent, mais à une seule équipe de trente joueurs qui, pour notre plaisir, pour la joie de nos yeux, se sont répartis les rôles. La qualité du jeu dépend à égalité de tous, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre. Si quelques-uns jouent mal, c'est l'ensemble de la partie qui sera raté.
Quel progrès nous obtiendrions contre nos vieux réflexes stupides si, au lieu de glorifier la victoire de telle équipe, nous jugions simultanément les deux équipes en fonction de la ferveur de leur engagement ! Imaginez qu'en première page de votre journal on ne parle que de la qualité du jeu ; l'on n'y apprendrait que dans une page intérieure le score obtenu, ou même on l'ignorerait. Imaginez des stades où soit supprimé le tableau enregistrant les buts et les points. Imaginez que l'on n'entende plus dans les rues, le soir du match, tous ces braillards avinés criant stupidement "   on a gagné  ", alors que ceux qui crient ont bien peu de part dans ce "  on ".
Je ne sais quel peuple africain se passionne pour le football, mais a apporté à la règle du jeu une légère modification : lorsqu'un joueur de l'équipe A marque un but contre l'équipe B. il va aussitôt jouer dans cette équipe B. En échange d'un membre de celle-ci. L'intérêt du spectacle est ainsi prolongé. Dans l'ambiance actuelle de nos sociétés, un tel comportement semble absurde ; au mot sport nous associons spontanément le mot compétition. La sagesse serait pourtant de lui associer le mot connivence.
Si la vie se résume à une succession de combats toujours recommencés, pour l'emporter sur les autres, elle est dès le départ rendue définitivement vaine, gâchée. Dans la nature, la compétition n'est nullement une attitude nécessaire ; les exemples sont nombreux d'entraide, de mise en commun, de connivence. Pour l'espèce humaine, cette connivence est particulièrement nécessaire, car chaque membre de l'espèce a besoin des autres pour s'accomplir. Pour faire un homme, il faut des hommes. Nous sommes l'espèce qui est, de très loin, celle où l'apprentissage, c'est-à-dire l'écoute de l'autre, joue le plus grand rôle.

 Albert Jacquard, Abécédaire de l'ambiguïté, 1989.

(1). Il s'agit des 15 joueurs qui composent une équipe de rugby.

Questions (10 points)
1. Reformulez brièvement la thèse contenue dans ce texte. (2 pts)
2. Quelle est la thèse rejetée ?     Par quels procédés l'auteur dévalorise-t-il cette thèse ? (4 pts)
3. Analysez l’utilisation que fait l’auteur du dialogue fictif pour entraîner l’adhésion du lecteur. (4 pts) 1. Reformulez brièvement la thèse contenue dans ce texte. (2 pts)
2. Quelle est la thèse rejetée ?   Par quels procédés l'auteur dévalorise-t-il cette thèse ? (4 pts)
3. Analysez l’utilisation que fait l’auteur du dialogue fictif pour entraîner l’adhésion du lecteur. (4 pts)

 Travail d'écriture (10 points)
Dans quelle mesure chacun de nous a-t-il " besoin des autres pour s’accomplir " ?
Vous répondrez à cette question dans un développement d’une trentaine de lignes illustré d’exemples précis.

 

SUJET Il : COMMENTAIRE LITTERAIRE

 Chaque année, aux beaux jours, nous allions, mes amis et moi, nous ébattre au pied de la Pointe-Blanche dans la baie que le port aujourd'hui a gagnée. Le fort Sainte-Thérèse existait encore et marquait la limite des bassins. A ses pieds, une crique abritait des barques de plaisance et des lamparos (1) à l'étrave orgueilleusement prolongée en une sorte de corne, comme un défi à la mer.  
Que d'heures à nager, à plonger, à glisser entre les amas de roches arrachées aux falaises, à descendre dans les entrailles d'une épave, celle d'un grand voilier italien qui avait pris feu avant la guerre et qu'on avait abîmé (2) là ! Nous allions explorer aussi l'autre versant de la Pointe où des couples, la nuit, venaient se baigner nus. Et parfois nous cherchions sur le sable les traces des beaux corps féminins qui hantaient notre imagination et qui s'étaient donnés au bord des vagues. Si nous remontions vers la ville parce versant, dit " la Cueva del Agua " (La Grotte de l'Eau), nous faisions halte à la source qui coulait, glacée, à mi-pente, sous l'avancée d'une roche, et nous mangions ces jeunes pousses de pourpier qu'Hermès (3) avait recommandées à Ulysse pour se préserver des maléfices de Circé (4). Nous étions d'ailleurs les Ulysses de ces rivages, des Ulysses adolescents avec la même curiosité intrépide pour les mystères du monde. Parfois aussi nous retournions à la maison en traversant le port, en nous arrêtant devant ces petits cafés ornés de scènes tauromachiques, de géraniums, et de gargoulettes (5) en forme de coqs. Sur le terre-plein, des pêcheurs, sous de vastes chaudrons, allumaient des feux comme pour un rite barbare. Le soir, ceux qui rentraient ramenaient souvent des créatures étranges dont les yeux cruels nous fascinaient.
La mer faisait intimement partie de notre univers, elle inspirait presque tous nos projets, nous nous hâtions de la rejoindre comme une frontière privilégiée entre deux zones, celle de la dépendance et de la contrainte, et celle de l'indiscipline anarchique.

 Emmanuel Roblès Saison Violente (1974).

(1) Lamparo : lampe placée à l'avant du bateau pour attirer le poisson la nuit.
(2) abîmer : précipiter dans l'abîme.
(3) Hermès : messager des dieux dans l'antiquité grecque
(4) Circé : magicienne qui, dans l'Odyssée d'Homère, métamorphose les compagnons d'Ulysse en pourceaux.
(5) gargoulette : cruche destinée à rafraîchir l'eau.

 Questions (4 points)
1) En quoi le premier paragraphe annonce-t-il les thèmes majeurs du texte ? (2 points)
2) Quel rôle joue dans le texte la référence mythologique à Ulysse ? (2 points)

Commentaire composé du texte (16 points)

 

Session de septembre 1996

Antilles-Guyane - Séries générales -
Etude d'un texte argumentatif

ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE

SGANARELLE, ARISTE

SGANARELLE
Mon frère, s'il vous plaît, ne discourons point tant,
Et que chacun de nous vive comme il l'entend.
Bien que sur moi des ans vous ayez l'avantage
Et soyez assez vieux pour devoir être sage,
Je vous dirai pourtant que mes intentions
Sont de ne prendre point de vos corrections,
Que j'ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre,
Et me trouve fort bien de ma façon de vivre.

ARISTE
Mais chacun la condamne.

SGANARELLE
Oui, des fous comme vous,
Mon frère.

ARISTE
Grand merci : le compliment est doux.

SGANARELLE
Je voudrais bien savoir, puisqu'il faut tout entendre,
Ce que ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.

ARISTE
Cette farouche humeur, dont la sévérité
Fuit toutes les douceurs de la société,
À tous vos procédés inspire un air bizarre,
Et jusques à l'habit, vous rend chez vous barbare.

SGANARELLE
Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir,
Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir !
Ne voudriez-vous point, par vos belles sornettes,
Monsieur mon frère aîné (car, Dieu merci, vous l'êtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer,
Et cela ne vaut point la peine d'en parler),
Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,
De vos jeunes muguets(1) m'inspirer les manières ?
M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure ?
De ces petits pourpoints (2) sous les bras se perdant,
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants ?
De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces,
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses (3) ?
De ces souliers mignons, de rubans revêtus
Qui vous font ressembler à des pigeons pattus (4) ?
Et de ces grands canons (5) où, comme en des entraves,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces Messieurs les galants
Marcher écarquillés ainsi que des volants ?
Je vous plairais, sans doute, équipé de la sorte
Et je vous vois porter les sottises qu'on porte.

ARISTE
Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder,
Et jamais il ne faut se faire regarder.
L'un et l'autre excès choque, et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et sans empressement
Suivre ce que l'usage y fait de changement.
Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la méthode
De ceux qu'on voit toujours renchérir sur la mode,
Et qui dans ses excès, dont ils sont amoureux,
Seraient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux ;
Mais je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde,
Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous,
Que du sage parti se voir seul contre tous.

SGANARELLE
Cela sent son vieillard, qui, pour en faire accroire,
Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.

ARISTE
C'est un étrange fait du soin que vous prenez
À me venir toujours jeter mon âge au nez,
Et qu'il faille qu'en moi sans cesse je vous voie
Blâmer l'ajustement aussi bien que la joie,
Comme si, condamnée à ne plus rien chérir,
La vieillesse devait ne songer qu'à mourir,
Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée,
Sans se tenir encor malpropre et rechignée.

SGANARELLE
Quoi qu'il en soit, je suis attaché fortement
À ne démordre point de mon habillement.
Je veux une coiffure, en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode ;
Un beau pourpoint bien long et fermé comme il faut,
Qui, pour bien digérer, tienne l'estomac chaud ;
Un haut-de-chausses fait justement pour ma cuisse ;
Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice,
Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux :
Et qui me trouve mal, n'a qu'à fermer les yeux.

MOLIÈRE, L'École des maris, 1661.

(1) Muguet : jeune homme à la mode - (2) Pourpoint : veste - (3) Hauts-de-chausses : culotte - (4) Pattu : qui a des plumes jusqu’au pied - (5); Canon : ornement de toile, rond et orné de dentelle qu’on attachait au-dessus du genou et qui couvrait la moitié de la jambe.

 Questions (10 points)
1. Quel est le sujet de la discussion entre les deux frères ?
Sur quel argument touchant directement la personne d’Ariste, Sganarelle revient-il fréquemment ? (2 pts)
2. Sur quel ton sont dits les vers 19 et 20 ?
" Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir,
   Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir !  " (1 pt)
3. À quoi tient la force argumentative des vers 25 à 40 ? (4 pts)
" Ne voudriez-vous point... ainsi que des volants ?  "
4. En quoi la réplique d’Ariste (" Toujours au plus grand nombre... ") représente-t-elle un élargissement par rapport aux propos précédents ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (3 pts)

 Travail d'écriture (10 points)
Si vous deviez mettre en scène les deux personnages lequel rendriez-vous ridicule ? Pourquoi et comment ?

 

ANTILLES-GUYANE- SEPTEMBRE 1996, SÉRIES L, ES, S,
 SUJET Il : COMMENTAIRE LITTERAIRE

 Le ciel est pur sur ma tête, l'onde limpide sous mon canot, qui fuit devant une légère brise. À ma gauche sont des collines taillées à pic et flanquées de rochers d'où pendent des convolvulus à fleurs blanches et bleues, des festons de bignonias, de longues graminées, des plantes saxatiles de toutes les couleurs : à ma droite règnent de vastes prairies. A mesure que le canot avance, s'ouvrent de nouvelles scènes et de nouveaux points de vue : tantôt ce sont des vallées solitaires et riantes, tantôt des collines nues ; ici c'est une forêt de cyprès, dont on aperçoit les portiques sombres : là c'est un bois léger d'érables, où le soleil se joue comme à travers une dentelle.
 Liberté primitive, je te retrouve enfin ! Je passe comme cet oiseau qui vole devant moi, qui se dirige au hasard, et n'est embarrassé que du choix des ombrages. Me voilà tel que le Tout-Puissant m'a créé, souverain de la nature, porté triomphant sur les eaux, tandis que les habitants des fleuves accompagnent ma course, que les peuples de l'air me chantent .leurs hymnes, que les bêtes de la terre me saluent, que les forêts courbent leur cime sur mon passage. Est-ce sur le front de l'homme de la société, ou sur le mien, qu'est gravé le sceau immortel de notre origine ? Courez vous enfermer dans vos cités, allez vous soumettre à vos petites lois ; gagna votre pain à la sueur de votre front, ou dévorez le pain du pauvre ; égorgez-vous pour un mot, pour un maître ; doutez de l'existence de Dieu, ou adorez-le sous des formes superstitieuses : moi j'irai errant dans mes solitudes ; pas un seul battement de mon cœur ne sera comprimé, pas une seule de mes pensées ne sera enchaînée ; je serai libre comme la nature ; je ne reconnaîtrai de souverain que celui qui alluma la flamme des soleils et qui d'un coup de main fit rouler tous les mondes.

F-R. de CHATEAUBRIAND, Voyage en Amérique (publié en 1827).

Questions (4 points)
1. Relevez l'expression à laquelle s'oppose directement " souverain de la nature " (1 point)
2. Selon quels procédés s'organise la description dans le premier paragraphe ? (type de phrase, structure, rythme, lexique... ). (2 points)
3. Quelles observations faites- vous sur les types de phrases utilisés dans la suite du texte ? (1 point)

 Vous ferez le commentaire composé de ce texte (16 points)                              

 


Dernière modification le 14/09/2006
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