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2002 2002
ANTILLES - GUYANE
Durée de l'épreuve : 4 heures Coefficient : 2
Objet d'étude : Théâtre et représentation
Textes
A - Molière (1622 - 1673), extrait de l'acte II, scène 4,
Dom Juan, 1655
B - Beaumarchais (1732 - 1799), extrait de l'acte V, scène 7, Le Mariage de
Figaro, 1781.
C - Edmond Rostand (1866 - 1918), acte III, scène 10 (vers 1504 - 1539),
Cyrano de Bergerac, 1897.
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Texte 1 - Molière, Dom Juan
MATHURINE
Pour obtenir les faveurs d'une jeune paysanne, Charlotte, Dom Juan, un grand seigneur, lui a promis qu'il l'épouserait. Mais
Mathurine, une autre paysanne à qui il a fait la même promesse, survient.
MATHURINE, à Dom Juan - Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ?
DOM JUAN, bas à Mathurine - Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous.
CHARLOTTE, à Dom Juan - Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ?
DOM JUAN, bas à Mathurine - Tout ce que vous direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête.
CHARLOTTE - Quement donc ? Mathurine...
DOM JUAN, bas à Charlotte - C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie.
MATHURINE - Est-ce que... ?
DOM JUAN, bas à Mathurine - Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison.
CHARLOTTE - Je voudrais...
DOM JUAN, bas à Charlotte - Elle est obstinée comme tous les diables.
MATHURINE - Vrament...
DOM JUAN, bas à Mathurine - Ne lui dites rien, c'est une folle.
CHARLOTTE - Je pense...
Don Juan, bas à Charlotte - Laissez-la là, c'est une extravagante.
MATHURINE - Non, non : il faut que je lui parle.
CHARLOTTE - Je veux voir un peu ses raisons.
MATHURINE - Quoi ?
DOM JUAN, bas à Mathurine - Gageons qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser.
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Texte B - Beaumarchais, Le Mariage de Figaro
SUZANNE, suivante de la comtesse
Almaviva, va épouser le valet Figaro. Mais le comte Almaviva, qui la désire, veut obtenir ses faveurs. Suzanne avertit sa maîtresse et son fiancé. Pour ramener à elle son époux, la comtesse décide de prendre la place de Suzanne, lors d'un rendez-vous que le comte lui a fixé dans le jardin, à la tombée de la nuit. Figaro, mis au courant de la rencontre, assiste à la scène.
LE COMTE prend la main de la femme : Mais quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la Comtesse ait la main aussi belle !
LE COMTESSE, à part : Oh ! la prévention !
LE COMTE : a-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ?
LE COMTESSE, de la voix de Suzanne : Ainsi l'amour ?...
LE COMTE : L'amour... n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à vos genoux.
LE COMTESSE : Vous ne l'aimez plus ?
LE COMTE : Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union rendent l'hymen (1) si respectable !
LE COMTESSE : Que vouliez-vous en elle ?
LE COMTE, la caressant : Ce que je trouve en toi, ma beauté...
LE COMTESSE : Mais dites donc.
LE COMTE : ... Je ne sais : moins d'uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières ; un je ne sais quoi, qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant ; cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment ! (quand elles nous aiment. ) Et sont si complaisantes, et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu'on est tout surpris, un beau soir, de trouver la satiété, où l'on recherchait le bonheur !
LE COMTESSE, à part : Ah ! quelle leçon !
LE COMTE : En vérité, Suzon, j'ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c'est qu'elles n'étudient pas assez l'art de soutenir notre goût, de se renouveler à l'amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession, par celui de la variété.
LE COMTESSE, piquée : Donc elles doivent tout ?...
LE COMTE, riant : Et l'homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous, fut de les obtenir : la leur...
LE COMTESSE : La leur ?
LE COMTE : Est de nous retenir : on l'oublie trop.
LE COMTESSE : Ce ne sera pas moi.
FIGARO, à part : Ni moi.
SUZANNE, à part : Ni moi.
LE COMTE prend la main de sa femme : il y a de l'écho ici ; parlons plus bas.
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Texte C - Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac
La scène se passe à Paris, au XVIIème siècle. Cyrano, aussi célèbre pour ses prouesses militaires que pour son physique disgracieux, aime sa cousine Roxane. Mais celle-ci lui a confié qu'elle aime le beau Christian et en est aimée. Elle reproche cependant à ce dernier de ne pas savoir lui parler d'amour. Prêt à se sacrifier, Cyrano, poète à ses heures, décide d'aider Christian. Ainsi, quand celui-ci, dissimulé avec Cyrano sous le balcon de Roxane, la désespère par la maladresse de son discours amoureux, Cyrano décide-t-il de venir en aide à son rival en se faisant passer pour lui.
ROXANE, s'avançant sur le balcon
C'est vous ?
Nous parlions de... de... d'un...
CYRANO
Baiser. Le mot est doux !
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ;
S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement :
N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d'insensible façon :
Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson !
ROXANE
Taisez-vous !
CYRANO
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le cœur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme !
ROXANE
Taisez-vous !
CYRANO
Un baiser, c'est si noble, madame,
Que la reine de France, au plus heureux des lords,
En a laissé prendre un, la reine même !
ROXANE
Alors !
CYRANO, s'exaltant.
J'eus comme Buckingham (2) des souffrances muettes,
J'adore comme lui la reine que vous êtes,
Comme lui je suis triste et fidèle...
ROXANE
Et tu es
Beau comme lui !
CYRANO, à part, dégrisé.
C'est vrai, je suis beau, j'oubliais !
ROXANE
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille...
CYRANO, poussant Christian vers le balcon
Monte !
ROXANE
Ce goût de cœur...
CYRANO
Monte !
ROXANE
Ce bruit d'abeille...
CYRANO
Monte !
CHRISTIAN, hésitant
Mais il me semble, à présent, que c'est mal !
ROXANE
Cet instant d'infini !...
CYRANO
Monte donc, animal !
Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers, atteint les balustres qu'il enjambe.
CHRISTIAN
Ah ! Roxane !
Il l'enlace et se penche sur les lèvres ;
CYRANO
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
Baiser, festin d'amour, dont je suis le Lazare ! (2)
_________
(1) mariage
(2) duc anglais, amant de la reine de France dans Les Trois
mousquetaires d'Alexandre Dumas.
(3) Personnage de l'évangile, pauvre et malade, qui vivait des restes de festin de la table d'un riche.
Écriture
I - Après avoir pris connaissance de l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points)
1 - Quels sont les éléments communs aux trois textes (situation, personnages, etc.) ?
2 - Comment s'établit dans chacun d'eux la complicité avec le spectateur ?
II Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (14 points) :
1- Commentaire
Vous commenterez le texte d'E. Rostand en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- Vous étudierez la stratégie de séduction déployée par Cyrano pour arriver à ses fins.
- Vous montrerez, en vous appuyant sur des références précises, que le texte mêle étroitement les registres pathétique et comique.
2 - Dissertation
A partir du corpus, de vos lectures et de votre expérience de spectateur, vous vous demanderez en quoi la mise en scène d'une œuvre théâtrale en constitue, à sa manière, une interprétation.
3 - Invention
Imaginez un monologue dans lequel un personnage prépare la déclaration d'amour mensongère qu'il s'apprête à faire à un autre. Il en juge, au fur et à mesure, la qualité et en prévoit les effets. Vous n'oublierez pas de donner, au fil du texte, les indications de mise en scène que vous jugez
nécessaires. |
2001 2001
Sujet 1 : Étude d'un texte
argumentatif
Beaucoup de citoyens estiment que, confortablement
installés dans le canapé de leur salon à regarder sur le petit écran
une sensationnelle cascade d'événements à base d'images souvent
fortes, violentes et spectaculaires, ils peuvent s'informer
sérieusement. C'est une erreur totale.
Pour trois raisons : d'abord parce que le journal télévisé,
structuré comme une fiction, n'est pas fait pour informer, mais pour
distraire. Ensuite, parce que la rapide succession de nouvelles brèves
et fragmentées (une vingtaine par journal télévisé) produit un
double effet négatif de surinformation et de désinformation (il y a
trop de nouvelles, mais trop peu de temps consacré à chacune d'elles).
Et enfin, parce que vouloir s'informer sans effort est une illusion qui
relève du mythe publicitaire plutôt que de la mobilisation civique.
S'informer fatigue, et c'est à ce prix que le citoyen acquiert le droit
de participer intelligemment à la vie démocratique.
De nombreux titres de la presse écrite continuent pourtant, par
mimétisme télévisuel, d'adopter des caractéristiques propres au
média cathodique : maquette de la "une" conçue comme un
écran, longueur des articles réduite, personnalisation excessive de
quelques journalistes, priorité au local sur l'international, excès de
titres choc, pratique systématique de l'oubli, de l'amnésie à
l'égard des informations ayant quitté l'actualité, etc. "Un des
problèmes qui se pose de façon sensible dans beaucoup de rédactions -
estime Patrick Champagne -, c'est précisément que, de plus en plus, la
presse écrite adopte le format des médias audiovisuels : elle
privilégie les articles courts, elle titre de façon accrocheuse pour
attirer. L'équivalent de l'audimat est entré dans la presse sous la
forme du marketing éditorial qui se développe avec ses techniques
héritées de la publicité pour définir quels sont les sujets qui
attirent le public le plus large possible. On raisonne en terme du plus
grand nombre de lecteurs possible. Les médias audiovisuels sont devenus
des médias dominants." Les informations doivent désormais avoir
trois qualités principales : être faciles, rapides et amusantes.
Ainsi, paradoxalement, les journaux ont simplifié leur discours au
moment où le monde, transformé par la fin de la guerre froide et par
la mondialisation économique, s'est considérablement complexifié.
Un tel écart entre ce simplisme de la presse et les nouvelles
complications de la vie politique déroute de nombreux citoyens qui ne
trouvent plus, dans les pages de leur quotidien, une analyse
différente, plus fouillée, plus exigeante que celle proposée par le
journal télévisé. Cette simplification est d'autant plus paradoxale
que le niveau éducatif global de nos sociétés n'a cessé de
s'élever. Et les critiques s'accumulent sur la légèreté des médias,
leur attitude souvent irresponsable, leur connivence avec les nantis :
"La presse, qui est en fait le parti au pouvoir depuis une
génération, affirme Michael Wolff, spécialiste des médias au New
York Magazine, est confrontée aux forces qui minent tous les puissants:
la complaisance, l'inertie, l'âge, l'arrogance."
En acceptant trop souvent de n'être plus que l'écho des images
télévisées, beaucoup de journaux déçoivent, perdent leur propre
spécificité et, de surcroît, des lecteurs. En France, à peine 19 %
de la population lit un quotidien national ; et ce lectorat est en
baisse constante ; sur la période 1955 - 1966, les quotidiens nationaux
ont perdu 300000 lecteurs…
S'informer demeure une activité productive, impossible à réaliser
sans effort, et qui exige une véritable mobilisation intellectuelle.
Une activité assez noble, en démocratie, pour que le citoyen consente
à lui consacrer une part de son temps, de son argent et de son
attention.
L'information n'est pas un des aspects de la distraction moderne, elle
ne constitue pas l'une des planètes de la galaxie divertissement ;
c'est une discipline civique dont l'objectif est de construire des
citoyens. À ce prix, et à ce prix seulement, la presse écrite peut
quitter les rivages confortables du simplisme dominant et retrouver ces
lecteurs qui souhaitent comprendre pour pouvoir mieux agir dans nos
démocraties assoupies.
Ignacio RAMONET, La tyrannie de la communication.
Editions Galilée,
1. QUESTIONS
I. "Beaucoup de citoyens" ont la certitude d'être bien
informés. Par quels arguments cette certitude est-elle réfutée dans
le texte ? (3 points)
2. Etudiez, à partir du relevé des articulations logiques, le
fonctionnement argumentatif des paragraphes 2 et 3. (de : "pour
trois raisons..." à " ... complexifié.") (3 points)
3. La "simplification paradoxale" (1.27 - 28) : quelle en est
la cause ? Quelles en sont les conséquences ? (2 points)
4. Montrez, à l'aide d'exemples, comment le lexique, valorisant d'une
part, dévalorisant d'autre part, participe à l'argumentation. (2
points)
II TRAVAUX D'ECRITURE
Pourquoi l'information doit-elle être "une discipline
civique", et comment peut-elle l'être ? (10 points)
Sujet 2 : Étude Littéraire
Idriss, le petit berger saharien décide de quitter
l'oasis de Tabelbala pour connaître d'autres horizons. Un matin, sur
son chemin, il découvre les dunes du désert.
On lui avait parlé d'une "mer de sable".
ldriss n'avait jamais vu la mer, mais il en eut une image parfaitement
fidèle en butant au bout d'une rue sur la grande dune qui montait,
vierge et dorée, jusqu'au ciel. Une colline d'au moins cent mètres de
haut, douce et parfaitement intacte, sans cesse caressée et remodelée
par le vent, annonçait ainsi, comme sa première vague, l'immense
océan du Grand Erg occidental. Il ne put se retenir de se jeter à
l'assaut de cette montagne instable et tendre, qui croulait sous ses
pieds en cascades blondes, et au flanc de laquelle il se coucha un
moment pour reprendre son souffle. Pourtant l'escalade n'avait rien
d'éprouvant, et il se trouva bientôt à cheval sur la crête, une
arête rigoureusement dessinée, qu'un friselis(l) provoqué par le vent
ne cessait de peigner et d'aiguiser. A l'est moutonnait à l'infini,
jusqu'à l'horizon, l'échine d'or d'une infinité d'autres dunes, une
mer de sable, oui, mais figée, immobile, sans un navire. En se
retournant, il voyait à ses pieds les gourbis (2) cubiques, les dômes
et les terrasses du village, et, plus loin, en contrebas, la toison
verte de la palmeraie. Une rumeur de cris, d'appels, d'abois, et soudain
planant sur la communauté, le chant du Muezzin (3) montaient comme
seule preuve de vie de l'oasis. En redescendant, il constata que la
trace de ses pas au flanc de la première dune était déjà effacée,
comme absorbée, digérée par l'épaisseur du sable. La dune était à
nouveau vierge et intacte comme au premier jour de la création. Il se
demanda par quel miracle cette masse de sable meuble, constamment
travaillée par l'air, n'envahissait pas les rues, ne recouvrait pas les
maisons. Mais non, elle s'arrêtait bien sagement au pied d'une murette
de quelques centimètres qui limitait le village.
Michel TOURNIER, La Goutte d'or. Ed. Gallimard, 1986.
(1) friselis : petite ondulation.
(2) gourbis : habitat traditionnel en Afrique du Nord.
(3) muezzin : personne qui appelle à la prière dans
la religion musulmane.
I. QUESTIONS D'OBSERVATION (8 points)
1. Repérez les diverses sensations évoquées ? (2 points)
2. Comment se développe l'image de la "mer de sable" ? (3
points)
3. Relevez une personnification et commentez-la. (2 point)
4. Étudiez le discours rapporté dans les deux dernières phrases (2
points)
II QUESTIONS D'ANALYSE, D'INTERPRÉTATION OU DE
COMMENTAIRE (12 points)
1. Étudiez le jeu des oppositions dans le texte (6
points)
2. Analysez la fascination du personnage devant les dunes. Comment
est-elle rendue ? (6 points)
Sujet 3 : Dissertation
Évoquant le travail du romancier, Emile Zola a écrit
dans le Roman Expérimental (1880) : "Voir n'est pas tout, il
faudra rendre. C'est pourquoi, après le sens du réel, il y a la
personnalité de l'écrivain. Un grand romancier doit avoir le sens du
réel et l'expression personnelle." Vous commenterez ces propos en
vous référant avec précision au roman que vous avez étudié cette
année. |
2000
Premier sujet :
étude d'un texte argumentatif
Au début de cette scène, deux amis, Alceste et Philinte, échange
avec vivacité leur point de vue sur l’attitude à tenir à l'égard
des hommes et de la société.
PHILINTE
Mais, sérieusement que voulez-vous qu’on fasse ?
ALCESTE
je veux qu'on soit sincère, et qu’en homme d'honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
PHILINTE
Lorsqu 'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode,
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations:
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles;
Qui de civilités avec tous font combat
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.(1)
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu! Vous n'êtes pas pour être de mes gens;
je refuse d'un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence;
je veux qu'on me distingue et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.
PHILINTE
Mais, quand on est du monde (2), il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l'usage demande.
ALCESTE
Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.
je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans son discours se montre.
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
PHILINTE
Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule et serait peu permise;
Et parfois, n'en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur.
Serait-il à propos, et de la bienséance,
De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense 7
Et quand on a quelqu’un qu'on hait ou qui déplaît,
Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ?
ALCESTE
Oui.
PHILINTE
Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie
Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,
Et que le blanc quelle a scandalise chacun ?
ALCESTE
Sans doute.
PHILINTE
À Dorilas, qu'il est trop importun;
Et qu’il n'est, à la cour, oreille qu’il ne lasse
À conter sa bravoure et l'éclat de sa race ?
ALCESTE
Fort bien.
PHILINTE
Vous vous moquez.
ALCESTE
je ne me moque point;
Et je vais n'épargner personne sur ce point.
Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à réchauffer la bile;
J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein
Est de rompre en visière (3) à tout le genre humain.
MOLIÈRE, Le Misanthrope (1666)
Acte 1, scène 1, vers 34 -96
(1) l'honnête homme et le fat : l'homme honorable et celui qui,
sans raison, est toujours satisfait de lui-même.
(2) quand on est du monde : quand on appartient à la haute
société ou quand on vit en société.
(3) rompre en visière : attaquer violemment (terme d'escrime).
Questions sur le texte (10 points)
1. Reformulez en une phrase la thèse d'Alceste. (2 points)
2. Donnez les différents sens de "on" dans les trois
premières répliques de Philinte. (2 points)
3. Etudiez les procédés par lesquels s'exprime la colère d'Alceste
dans les vers 8 à 31. (4 points)
4. Dans la réplique des vers 34 à 39, montrez, en vous appuyant sur le
texte, sur quelle opposition se fonde l'indignation d'Alceste. (2
points)
Travail d'écriture (10 points)
Dites en un développement construit et illustré d'exemples à
laquelle des deux opinions, celle d'Alceste ou celle de Philinte, vous
vous rangeriez aujourd'hui.
Deuxième sujet : étude
littéraire
LE BRUIT DE LA DYNAMO
Ce petit frôlement qui freine et frotte en ronronnant contre la roue.
Il y avait si longtemps que l'on n'avait plus fait de bicyclette entre
chien et loup (1) ! Une voiture est passée
en klaxonnant alors on a retrouvé ce vieux geste : se pencher en
arrière, la main gauche ballante, et appuyer sur le bouton-poussoir -
à distance des rayons, bien sûr.
Bonheur de déclencher cet assentiment docile de la petite bouteille de
lait (2) qui s'incline contre la roue. Le
mince faisceau jaune du phare fait aussitôt la nuit toute bleue. Mais
c'est la musique qui compte. Le petit frr frr rassurant semble n'avoir
jamais cessé. On devient sa propre centrale électrique, à pédalées
rondes. Ce n'est pas le frottement du garde-boue qui se déplace. Non,
l'adhésion caoutchoutée du pneu au bouchon rainuré de la dynamo donne
moins la sensation d'une entrave que celle d'un engourdissement
bénéfique. La campagne alentour s'endort sous la vibration
régulière.
Remontent alors des matinées d'enfance, la route de l'école avec le
souvenir des doigts glacés. Des soirs d'été où on allait chercher le
lait à la ferme voisine - en contrepoint le brinquebalement de la
boîte de métal dont la petite chaîne danse. Des aubes en partance de
pêche, avec derrière soi une maison qui dort et les cannes de bambou
légères entrechoquées. La dynamo ouvre toujours le chemin d'une
liberté à déguster dans le presque gris, le pas tout à fait mauve.
C'est fait pour pédaler tout doux, tout sage, attentif au déroulement
du mécanisme pneumatique. Sur fond de dynamo, on se déplace rond, à
la cadence d'un moteur de vent qui mouline avec l'air de rien des routes
de mémoire.
Philippe DELERM, La première gorgée de bière et autres plaisirs
minuscules,1997
(1) entre chien et loup : à la tombée de la nuit.
(2) bouteille de lait : la dynamo par sa forme et celle de son
"bouchon rainuré" rappelle celle d'une petite bouteille de
lait.
Questions d'observation (8 POINTS)
1. Etudiez dans ce texte une allitération et une assonance
particulièrement expressives. (2 points)
2. Quelles sont les perceptions sensorielles évoquées dans ce texte ?
Relevez, en les présentant de manière organisée, les éléments et
les procédés qui les expriment. (4 points)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur la construction des phrases,
au second paragraphe ? (2 points)
Question d'analyse, de commentaire et d'interprétation (12 points)
1. Comment comprenez-vous, à la lumière du texte, l'expression
finale " des routes de mémoire " ? (6 points)
2. Dans un développement composé, vous mettrez en évidence la
dimension poétique du texte. (6 points)
Troisième sujet : dissertation
littéraire
Estimez-vous qu'on puisse reprocher à Zola ou à Maupassant comme font
fait leurs adversaires, de se complaire dans la peinture de ce qu'il y a
de plus sordide dans la réalité et de plus bestial dans lhomme ?
Vous appuierez votre réflexion sur l'oeuvre du programme aue vous avez
étudiée.
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