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2002   2002

ANTILLES - GUYANE 

Baccalauréat technologique - session 2002 Français toutes séries

Durée de l'épreuve : 4 heures Coefficient : 2

Objet d'étude : Théâtre et représentation

Textes

A - Molière (1622 - 1673), extrait de l'acte II, scène 4, Dom Juan, 1655
B - Beaumarchais (1732 - 1799), extrait de l'acte V, scène 7, Le Mariage de Figaro, 1781. 
C - Edmond Rostand (1866 - 1918), acte III, scène 10 (vers 1504 - 1539), Cyrano de Bergerac, 1897. 

__________

Texte 1 - Molière, Dom Juan

MATHURINE
Pour obtenir les faveurs d'une jeune paysanne, Charlotte, Dom Juan, un grand seigneur, lui a promis qu'il l'épouserait. Mais Mathurine, une autre paysanne à qui il a fait la même promesse, survient.

MATHURINE, à Dom Juan - Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous. 

CHARLOTTE, à Dom Juan - Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Tout ce que vous direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête. 

CHARLOTTE - Quement donc ? Mathurine...

DOM JUAN, bas à Charlotte - C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie. 

MATHURINE - Est-ce que... ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. 

CHARLOTTE - Je voudrais...

DOM JUAN, bas à Charlotte - Elle est obstinée comme tous les diables. 

MATHURINE - Vrament...

DOM JUAN, bas à Mathurine - Ne lui dites rien, c'est une folle. 

CHARLOTTE - Je pense...

Don Juan, bas à Charlotte - Laissez-la là, c'est une extravagante. 

MATHURINE - Non, non : il faut que je lui parle. 

CHARLOTTE - Je veux voir un peu ses raisons. 

MATHURINE - Quoi ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Gageons qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser. 

_____________

Texte B - Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

SUZANNE, suivante de la comtesse Almaviva, va épouser le valet Figaro. Mais le comte Almaviva, qui la désire, veut obtenir ses faveurs. Suzanne avertit sa maîtresse et son fiancé. Pour ramener à elle son époux, la comtesse décide de prendre la place de Suzanne, lors d'un rendez-vous que le comte lui a fixé dans le jardin, à la tombée de la nuit. Figaro, mis au courant de la rencontre, assiste à la scène. 

LE COMTE prend la main de la femme : Mais quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la Comtesse ait la main aussi belle !

LE COMTESSE, à part : Oh ! la prévention !

LE COMTE : a-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ?

LE COMTESSE, de la voix de Suzanne : Ainsi l'amour ?...

LE COMTE : L'amour... n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à vos genoux. 

LE COMTESSE : Vous ne l'aimez plus ?

LE COMTE : Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union rendent l'hymen (1) si respectable !

LE COMTESSE : Que vouliez-vous en elle ?

LE COMTE, la caressant : Ce que je trouve en toi, ma beauté...

LE COMTESSE : Mais dites donc. 

LE COMTE : ... Je ne sais : moins d'uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières ; un je ne sais quoi, qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant ; cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment ! (quand elles nous aiment. ) Et sont si complaisantes, et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu'on est tout surpris, un beau soir, de trouver la satiété, où l'on recherchait le bonheur !

LE COMTESSE, à part : Ah ! quelle leçon !

LE COMTE : En vérité, Suzon, j'ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c'est qu'elles n'étudient pas assez l'art de soutenir notre goût, de se renouveler à l'amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession, par celui de la variété. 

LE COMTESSE, piquée : Donc elles doivent tout ?...

LE COMTE, riant : Et l'homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous, fut de les obtenir : la leur...

LE COMTESSE : La leur ?

LE COMTE : Est de nous retenir : on l'oublie trop. 

LE COMTESSE : Ce ne sera pas moi. 

FIGARO, à part : Ni moi. 

SUZANNE, à part : Ni moi. 

LE COMTE prend la main de sa femme : il y a de l'écho ici ; parlons plus bas. 

______________

Texte C - Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

La scène se passe à Paris, au XVIIème siècle. Cyrano, aussi célèbre pour ses prouesses militaires que pour son physique disgracieux, aime sa cousine Roxane. Mais celle-ci lui a confié qu'elle aime le beau Christian et en est aimée. Elle reproche cependant à ce dernier de ne pas savoir lui parler d'amour. Prêt à se sacrifier, Cyrano, poète à ses heures, décide d'aider Christian. Ainsi, quand celui-ci, dissimulé avec Cyrano sous le balcon de Roxane, la désespère par la maladresse de son discours amoureux, Cyrano décide-t-il de venir en aide à son rival en se faisant passer pour lui. 

ROXANE, s'avançant sur le balcon

C'est vous ?

Nous parlions de... de... d'un...

CYRANO

Baiser. Le mot est doux !
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ; 
S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement : 
N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, 
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d'insensible façon : 
Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson !

ROXANE
Taisez-vous !

CYRANO
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, 
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; 
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, 
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, 
Une communion ayant un goût de fleur, 
Une façon d'un peu se respirer le cœur, 
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme !

ROXANE
Taisez-vous !

CYRANO
Un baiser, c'est si noble, madame, 
Que la reine de France, au plus heureux des lords, 
En a laissé prendre un, la reine même !

ROXANE
Alors !

CYRANO, s'exaltant. 
J'eus comme Buckingham (2) des souffrances muettes, 
J'adore comme lui la reine que vous êtes, 
Comme lui je suis triste et fidèle...

ROXANE
Et tu es
Beau comme lui !

CYRANO, à part, dégrisé. 
C'est vrai, je suis beau, j'oubliais !

ROXANE
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille...

CYRANO, poussant Christian vers le balcon
Monte !

ROXANE
Ce goût de cœur...

CYRANO
Monte !

ROXANE
Ce bruit d'abeille...

CYRANO
Monte !

CHRISTIAN, hésitant
Mais il me semble, à présent, que c'est mal !

ROXANE
Cet instant d'infini !...

CYRANO
Monte donc, animal !

Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers, atteint les balustres qu'il enjambe. 

CHRISTIAN
Ah ! Roxane !

Il l'enlace et se penche sur les lèvres ; 

CYRANO
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
Baiser, festin d'amour, dont je suis le Lazare ! (2)

_________

(1) mariage
(2) duc anglais, amant de la reine de France dans Les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas.
(3) Personnage de l'évangile, pauvre et malade, qui vivait des restes de festin de la table d'un riche. 

Écriture

I - Après avoir pris connaissance de l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points)

1 - Quels sont les éléments communs aux trois textes (situation, personnages, etc.) ?
2 - Comment s'établit dans chacun d'eux la complicité avec le spectateur ?

II Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (14 points) :

1- Commentaire

Vous commenterez le texte d'E. Rostand en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- Vous étudierez la stratégie de séduction déployée par Cyrano pour arriver à ses fins.
- Vous montrerez, en vous appuyant sur des références précises, que le texte mêle étroitement les registres pathétique et comique.

2 - Dissertation

A partir du corpus, de vos lectures et de votre expérience de spectateur, vous vous demanderez en quoi la mise en scène d'une œuvre théâtrale en constitue, à sa manière, une interprétation.

3 - Invention

Imaginez un monologue dans lequel un personnage prépare la déclaration d'amour mensongère qu'il s'apprête à faire à un autre. Il en juge, au fur et à mesure, la qualité et en prévoit les effets. Vous n'oublierez pas de donner, au fil du texte, les indications de mise en scène que vous jugez nécessaires.

2001         2001

Sujet 1 : Étude d'un texte argumentatif

Beaucoup de citoyens estiment que, confortablement installés dans le canapé de leur salon à regarder sur le petit écran une sensationnelle cascade d'événements à base d'images souvent fortes, violentes et spectaculaires, ils peuvent s'informer sérieusement. C'est une erreur totale.
Pour trois raisons : d'abord parce que le journal télévisé, structuré comme une fiction, n'est pas fait pour informer, mais pour distraire. Ensuite, parce que la rapide succession de nouvelles brèves et fragmentées (une vingtaine par journal télévisé) produit un double effet négatif de surinformation et de désinformation (il y a trop de nouvelles, mais trop peu de temps consacré à chacune d'elles). Et enfin, parce que vouloir s'informer sans effort est une illusion qui relève du mythe publicitaire plutôt que de la mobilisation civique. S'informer fatigue, et c'est à ce prix que le citoyen acquiert le droit de participer intelligemment à la vie démocratique.
De nombreux titres de la presse écrite continuent pourtant, par mimétisme télévisuel, d'adopter des caractéristiques propres au média cathodique : maquette de la "une" conçue comme un écran, longueur des articles réduite, personnalisation excessive de quelques journalistes, priorité au local sur l'international, excès de titres choc, pratique systématique de l'oubli, de l'amnésie à l'égard des informations ayant quitté l'actualité, etc. "Un des problèmes qui se pose de façon sensible dans beaucoup de rédactions - estime Patrick Champagne -, c'est précisément que, de plus en plus, la presse écrite adopte le format des médias audiovisuels : elle privilégie les articles courts, elle titre de façon accrocheuse pour attirer. L'équivalent de l'audimat est entré dans la presse sous la forme du marketing éditorial qui se développe avec ses techniques héritées de la publicité pour définir quels sont les sujets qui attirent le public le plus large possible. On raisonne en terme du plus grand nombre de lecteurs possible. Les médias audiovisuels sont devenus des médias dominants." Les informations doivent désormais avoir trois qualités principales : être faciles, rapides et amusantes. Ainsi, paradoxalement, les journaux ont simplifié leur discours au moment où le monde, transformé par la fin de la guerre froide et par la mondialisation économique, s'est considérablement complexifié.
Un tel écart entre ce simplisme de la presse et les nouvelles complications de la vie politique déroute de nombreux citoyens qui ne trouvent plus, dans les pages de leur quotidien, une analyse différente, plus fouillée, plus exigeante que celle proposée par le journal télévisé. Cette simplification est d'autant plus paradoxale que le niveau éducatif global de nos sociétés n'a cessé de s'élever. Et les critiques s'accumulent sur la légèreté des médias, leur attitude souvent irresponsable, leur connivence avec les nantis : "La presse, qui est en fait le parti au pouvoir depuis une génération, affirme Michael Wolff, spécialiste des médias au New York Magazine, est confrontée aux forces qui minent tous les puissants: la complaisance, l'inertie, l'âge, l'arrogance."
En acceptant trop souvent de n'être plus que l'écho des images télévisées, beaucoup de journaux déçoivent, perdent leur propre spécificité et, de surcroît, des lecteurs. En France, à peine 19 % de la population lit un quotidien national ; et ce lectorat est en baisse constante ; sur la période 1955 - 1966, les quotidiens nationaux ont perdu 300000 lecteurs…
S'informer demeure une activité productive, impossible à réaliser sans effort, et qui exige une véritable mobilisation intellectuelle. Une activité assez noble, en démocratie, pour que le citoyen consente à lui consacrer une part de son temps, de son argent et de son attention.
L'information n'est pas un des aspects de la distraction moderne, elle ne constitue pas l'une des planètes de la galaxie divertissement ; c'est une discipline civique dont l'objectif est de construire des citoyens. À ce prix, et à ce prix seulement, la presse écrite peut quitter les rivages confortables du simplisme dominant et retrouver ces lecteurs qui souhaitent comprendre pour pouvoir mieux agir dans nos démocraties assoupies.

Ignacio RAMONET, La tyrannie de la communication. Editions Galilée,

 

1. QUESTIONS
I. "Beaucoup de citoyens" ont la certitude d'être bien informés. Par quels arguments cette certitude est-elle réfutée dans le texte ? (3 points)
2. Etudiez, à partir du relevé des articulations logiques, le fonctionnement argumentatif des paragraphes 2 et 3. (de : "pour trois raisons..." à " ... complexifié.") (3 points)
3. La "simplification paradoxale" (1.27 - 28) : quelle en est la cause ? Quelles en sont les conséquences ? (2 points)
4. Montrez, à l'aide d'exemples, comment le lexique, valorisant d'une part, dévalorisant d'autre part, participe à l'argumentation. (2 points)

II TRAVAUX D'ECRITURE
Pourquoi l'information doit-elle être "une discipline civique", et comment peut-elle   l'être ? (10 points)

 

Sujet 2 : Étude Littéraire

Idriss, le petit berger saharien décide de quitter l'oasis de Tabelbala pour connaître d'autres horizons. Un matin, sur son chemin, il découvre les dunes du désert.

On lui avait parlé d'une "mer de sable". ldriss n'avait jamais vu la mer, mais il en eut une image parfaitement fidèle en butant au bout d'une rue sur la grande dune qui montait, vierge et dorée, jusqu'au ciel. Une colline d'au moins cent mètres de haut, douce et parfaitement intacte, sans cesse caressée et remodelée par le vent, annonçait ainsi, comme sa première vague, l'immense océan du Grand Erg occidental. Il ne put se retenir de se jeter à l'assaut de cette montagne instable et tendre, qui croulait sous ses pieds en cascades blondes, et au flanc de laquelle il se coucha un moment pour reprendre son souffle. Pourtant l'escalade n'avait rien d'éprouvant, et il se trouva bientôt à cheval sur la crête, une arête rigoureusement dessinée, qu'un friselis(l) provoqué par le vent ne cessait de peigner et d'aiguiser. A l'est moutonnait à l'infini, jusqu'à l'horizon, l'échine d'or d'une infinité d'autres dunes, une mer de sable, oui, mais figée, immobile, sans un navire. En se retournant, il voyait à ses pieds les gourbis (2) cubiques, les dômes et les terrasses du village, et, plus loin, en contrebas, la toison verte de la palmeraie. Une rumeur de cris, d'appels, d'abois, et soudain planant sur la communauté, le chant du Muezzin (3) montaient comme seule preuve de vie de l'oasis. En redescendant, il constata que la trace de ses pas au flanc de la première dune était déjà effacée, comme absorbée, digérée par l'épaisseur du sable. La dune était à nouveau vierge et intacte comme au premier jour de la création. Il se demanda par quel miracle cette masse de sable meuble, constamment travaillée par l'air, n'envahissait pas les rues, ne recouvrait pas les maisons. Mais non, elle s'arrêtait bien sagement au pied d'une murette de quelques centimètres qui limitait le village.

Michel TOURNIER, La Goutte d'or. Ed. Gallimard, 1986.

(1) friselis : petite ondulation.

(2) gourbis : habitat traditionnel en Afrique du Nord.

(3) muezzin : personne qui appelle à la prière dans la religion musulmane.

I. QUESTIONS D'OBSERVATION (8 points)
1. Repérez les diverses sensations évoquées ? (2 points)
2. Comment se développe l'image de la "mer de sable" ? (3 points)
3. Relevez une personnification et commentez-la. (2 point)
4. Étudiez le discours rapporté dans les deux dernières phrases (2 points)

II QUESTIONS D'ANALYSE, D'INTERPRÉTATION OU DE COMMENTAIRE (12 points)

1. Étudiez le jeu des oppositions dans le texte (6 points)
2. Analysez la fascination du personnage devant les dunes. Comment est-elle rendue ? (6 points)

 

Sujet 3 : Dissertation

Évoquant le travail du romancier, Emile Zola a écrit dans le Roman Expérimental (1880) : "Voir n'est pas tout, il faudra rendre. C'est pourquoi, après le sens du réel, il y a la personnalité de l'écrivain. Un grand romancier doit avoir le sens du réel et l'expression personnelle." Vous commenterez ces propos en vous référant avec précision au roman que vous avez étudié cette année.

2000

Premier sujet : étude d'un texte argumentatif

Au début de cette scène, deux amis, Alceste et Philinte, échange avec vivacité leur point de vue sur l’attitude à tenir à l'égard des hommes et de la société.

PHILINTE
Mais, sérieusement que voulez-vous qu’on fasse ?

ALCESTE
je veux qu'on soit sincère, et qu’en homme d'honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

PHILINTE
Lorsqu 'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,
Répondre, comme on peut, à ses empressements,
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode,
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations:
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles;
Qui de civilités avec tous font combat
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.(1)
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu! Vous n'êtes pas pour être de mes gens;
je refuse d'un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence;
je veux qu'on me distingue et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.

PHILINTE
Mais, quand on est du monde (2), il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l'usage demande.

ALCESTE
Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.
je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans son discours se montre.
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

PHILINTE
Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule et serait peu permise;
Et parfois, n'en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur.
Serait-il à propos, et de la bienséance,
De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense 7
Et quand on a quelqu’un qu'on hait ou qui déplaît,
Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ?

ALCESTE
Oui.

PHILINTE
Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie
Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,
Et que le blanc quelle a scandalise chacun ?

ALCESTE
Sans doute.

PHILINTE
À Dorilas, qu'il est trop importun;
Et qu’il n'est, à la cour, oreille qu’il ne lasse
À conter sa bravoure et l'éclat de sa race ?

ALCESTE
Fort bien.

PHILINTE
Vous vous moquez.
ALCESTE
je ne me moque point;
Et je vais n'épargner personne sur ce point.
Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à réchauffer la bile;
J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein
Est de rompre en visière (3) à tout le genre humain.

MOLIÈRE, Le Misanthrope (1666)
Acte 1, scène 1, vers 34 -96

(1) l'honnête homme et le fat : l'homme honorable et celui qui, sans raison, est toujours satisfait de lui-même.
(2) quand on est du monde : quand on appartient à la haute société ou quand on vit en société.
(3) rompre en visière : attaquer violemment (terme d'escrime).

Questions sur le texte (10 points)
1. Reformulez en une phrase la thèse d'Alceste. (2 points)
2. Donnez les différents sens de "on" dans les trois premières répliques de Philinte. (2 points)
3. Etudiez les procédés par lesquels s'exprime la colère d'Alceste dans les vers 8 à 31. (4 points)
4. Dans la réplique des vers 34 à 39, montrez, en vous appuyant sur le texte, sur quelle opposition se fonde l'indignation d'Alceste. (2 points)

Travail d'écriture (10 points)
Dites en un développement construit et illustré d'exemples à laquelle des deux opinions, celle d'Alceste ou celle de Philinte, vous vous rangeriez aujourd'hui.


Deuxième sujet : étude littéraire

LE BRUIT DE LA DYNAMO

Ce petit frôlement qui freine et frotte en ronronnant contre la roue. Il y avait si longtemps que l'on n'avait plus fait de bicyclette entre chien et loup (1) ! Une voiture est passée en klaxonnant alors on a retrouvé ce vieux geste : se pencher en arrière, la main gauche ballante, et appuyer sur le bouton-poussoir - à distance des rayons, bien sûr.
Bonheur de déclencher cet assentiment docile de la petite bouteille de lait (2) qui s'incline contre la roue. Le mince faisceau jaune du phare fait aussitôt la nuit toute bleue. Mais c'est la musique qui compte. Le petit frr frr rassurant semble n'avoir jamais cessé. On devient sa propre centrale électrique, à pédalées rondes. Ce n'est pas le frottement du garde-boue qui se déplace. Non, l'adhésion caoutchoutée du pneu au bouchon rainuré de la dynamo donne moins la sensation d'une entrave que celle d'un engourdissement bénéfique. La campagne alentour s'endort sous la vibration régulière.
Remontent alors des matinées d'enfance, la route de l'école avec le souvenir des doigts glacés. Des soirs d'été où on allait chercher le lait à la ferme voisine - en contrepoint le brinquebalement de la boîte de métal dont la petite chaîne danse. Des aubes en partance de pêche, avec derrière soi une maison qui dort et les cannes de bambou légères entrechoquées. La dynamo ouvre toujours le chemin d'une liberté à déguster dans le presque gris, le pas tout à fait mauve. C'est fait pour pédaler tout doux, tout sage, attentif au déroulement du mécanisme pneumatique. Sur fond de dynamo, on se déplace rond, à la cadence d'un moteur de vent qui mouline avec l'air de rien des routes de mémoire.

Philippe DELERM, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules,1997

(1) entre chien et loup : à la tombée de la nuit.
(2) bouteille de lait : la dynamo par sa forme et celle de son "bouchon rainuré" rappelle celle d'une petite bouteille de lait.

Questions d'observation (8 POINTS)
1. Etudiez dans ce texte une allitération et une assonance particulièrement expressives. (2 points)
2. Quelles sont les perceptions sensorielles évoquées dans ce texte ? Relevez, en les présentant de manière organisée, les éléments et les procédés qui les expriment. (4 points)
3. Quelles remarques pouvez-vous faire sur la construction des phrases, au second paragraphe ? (2 points)

Question d'analyse, de commentaire et d'interprétation (12 points)
1. Comment comprenez-vous, à la lumière du texte, l'expression finale " des routes de mémoire " ? (6 points)
2. Dans un développement composé, vous mettrez en évidence la dimension poétique du texte. (6 points)

Troisième sujet : dissertation littéraire

Estimez-vous qu'on puisse reprocher à Zola ou à Maupassant comme font fait leurs adversaires, de se complaire dans la peinture de ce qu'il y a de plus sordide dans la réalité et de plus bestial dans lhomme ?
Vous appuierez votre réflexion sur l'oeuvre du programme aue vous avez étudiée.
 


Dernière modification le 14/09/2006
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