Annales EAF et littérature 2002
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GUYANE - ANTILLES - Juin 2002  Baccalauréat général Session 2002 Épreuve anticipée de français

Série ES - S

Objet d'étude : le biographique

Textes

A - George Sand, Histoire de ma vie (incipit), 1855. 
B - Jean d'Ormesson, " Sand ", Une autre histoire de la littérature française, 1997. 
C - Huguette Bouchardeau, La Lune et les Sabots, 1990. 
D - F. O. Rousseau, Les Enfants du siècle V, 1990. 
Annexe
Préface de Jérôme et Jean Tharaud à Histoire de ma vie de George Sand, 1944. 

 

Texte A - George Sand, Histoire de ma vie

Le juillet 1804, je vins au monde, mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie robe rose. Ce fut l'affaire d'un instant. J'eus du moins cette part de bonheur que me prédisait ma tante Lucie de ne point faire souffrir longtemps ma mère. Je vins au monde fille légitime, ce qui aurait fort bien pu ne pas arriver si mon père n'avait pas résolument marché sur les préjugés de sa famille, et cela fut un bonheur aussi, car sans cela ma grand'mère ne se fût peut-être pas occupée de moi avec autant d'amour qu'elle le fit plus tard, et j'eusse été privée d'un petit fonds d'idées et de connaissances qui a fait ma consolation dans les ennuis de ma vie. 
J'étais fortement constituée, et, durant toute mon enfance, j'annonçais devoir être fort belle, promesse que je n'ai point tenue. Il y eut peut-être de ma faute, car à l'âge où la beauté fleurit, je passais déjà les nuits à lire et à écrire. Étant fille de deux êtres d'une beauté parfaite, j'aurais dû ne pas dégénérer, et ma pauvre mère, qui estimait la beauté plus que tout, m'en faisait souvent de naïfs reproches. Pour moi, je ne pus jamais m'astreindre à soigner ma personne. Autant j'aime l'extrême propreté, autant les recherches de la mollesse m'ont toujours paru insupportables. 
Se priver de travail pour avoir l'œil frais, ne pas courir au soleil quand ce bon soleil de Dieu vous attire irrésistiblement, ne point marcher dans de bons gros sabots de peur de se déformer le cou-de-pied, porter des gants, c'est-à-dire renoncer à l'adresse et à la force de ses mains, se condamner à une éternelle gaucherie, à une éternelle débilité, ne jamais se fatiguer quand tout nous commande de ne point nous épargner, vivre enfin sous une cloche pour n'être ni hâlée, ni gercée, ni flétrie avant l'âge, voilà ce qu'il me fut toujours impossible d'observer. Ma grand'mère renchérissait encore sur les réprimandes de ma mère, et le chapitre des chapeaux et des gants fit le désespoir de mon enfance ; mais, quoique je ne fusse pas volontairement rebelle, la contrainte ne put m'atteindre. Je n'eus qu'un instant de fraîcheur et jamais de beauté. Mes traits étaient cependant assez bien formés, mais je ne songeai jamais à leur donner la moindre expression. L'habitude contractée, presque dès le berceau, d'une rêverie dont il me serait impossible de me rendre compte à moi-même, me donna de bonne heure l'air bête. Je dis le mot tout net, parce que toute ma vie, dans l'enfance, au couvent, dans l'intimité de la famille, on me l'a dit de même, et qu'il faut bien que cela soit vrai. 

 

Texte B - Jean d'Ormesson, " Sand ", Une autre histoire de la littérature française. 

George Sand fumait le cigare, s'habillait en garçon, dévorait, de Musset à Chopin, les hommes les plus remarquables de son temps et inclinait au socialisme ; Les jugements sur son compte sont divers et parfois sévères. 
"C'est la vache bretonne de la littérature", disait d'elle Jules Renard. Et Baudelaire, qui n'y va pas avec le dos de la cuillère ; "La femme Sand est le Prudhomme (1) de l'immoralité. Elle n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiments que les concierges et les filles entretenues. Que quelques homes aient pu s'amouracher de cette latrine (2), c'est bien la preuve de l'abaissement des mœurs de ce siècle ; Je ne puis plus penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête. "
Elle s'appelait Aurore Dupin. Elle descendait d'une famille de rois, de soldats, de chanoinesses, de comédiennes, de la belle Aurore de Koenigsmark et du maréchal de Saxe. 

(1) Prudhomme : personnage du petit bourgeois conformiste et satisfait (créé par Henri Monnier). 
(2 )Latrine : lieux d'aisances dans une caserne, une prison. 

 

Texte C - Huguette Bouchardeau, La Lune et les Sabots

"Moi, Monsieur, je ne suis pas de ces demoiselles confites dans les salons !" La jeune fille se transforme, relève ses boucles brunes, se coiffe d'un chapeau à large bord ; elle lisse sur sa lèvre supérieure une moustache imaginaire ; elle enfle sa voix : "Voulez-vous bien vous taire, petite sotte, vous n'êtes qu'une moricaude", défie à nouveau l'interlocuteur qu'elle s'est inventé : " Monsieur, je suis Aurore, Amantine, Lucile Dupin de Francueil... de Saxe ! " Elle se redresse en position de salut cavalier, se coiffe d'un feutre taupé, jette sur ses épaules une cape couleur de terre : "Une moricaude, vous dis-je, une malvenue, jaune comme un cierge pascal ; une laide avec vos gros yeux tristes !"
Nouvelle transformation : "Je suis Aurore, souffle-t-elle à son image radoucie dans le miroir, Aurore. " Elle oublie, sur l'une des deux chaises basses qui encadrent la commode en bois peint, la redingote noire, le sarrau bleu, la casquette de garçonnet jetés à la diable la veille au soir après sa course à travers champs. Oubliées aussi les bottes cavalières abandonnées hier derrière la porte. Elle saisit sur l'autre chaise en tapisserie la robe de guingan rose que lui avait offerte sa grand-mère au retour du couvent, retient le vêtement à la taille devant elle, en écarte les volants ; elle observe l'effet de l'étoffe sur sa peau brunie. "Le soleil me brûle dans les chemins", reconnaît-elle avec une pointe de regret. 

moricaud(e) : terme familier et péjoratif pour désigner un homme ou une femme dont le teint est brun. 
Sarrau : tablier en toile. 

Texte D - F. O. Rousseau, Les Enfants du siècle

Hyacinthe de Latouche, directeur du Figaro, rencontre Jules Sandeau et Aurore Dupin mariée à Casimir Dudevant. Jules et Aurore ont écrit ensemble "Rose et Blanche" sous le pseudonyme de Jules Sand. 

Les mots liberté et bohème sont partout dans l'air. Les jours qui n'ont que vingt-quatre heures ne suffisent pas à Aurore, devenue George, pour découvrir tout ce qu'elle a à découvrir, pour goûter à tout ce qui lui manquait jusqu'alors sans qu'elle le sache... Elle a vingt-huit ans, elle est mère de deux enfants et pourtant il lui semble qu'elle est une toute jeune fille et que sa vie commence. 
Avec Sandeau, ils habitent sous les combles une enfilade de deux petites pièces mansardées. Cet appartement contient deux logements qu'on peut, d'un simple tour de clef, réunir ou séparer. Ainsi, s'il prend inopinément à Casimir l'idée de venir voir sa femme et ses enfants, on condamnera, le temps de sa visite, la porte de communication qui mène chez Sandeau... Et les apparences seront sauves. [...]
- Pardonnez-moi, je ne vous ai pas présentés : Hyacinthe de Latouche, directeur du Figaro, la baronne Dudevant avec qui j'ai écrit Rose et Blanche...
- Jules Sand, c'était vous ? s'est exclamé l'homme aux favoris, en dévisageant Aurore. 
- C'était nous, dit-elle. Comme je ne pouvais pas signer sous le nom de mon mari, Sandeau m'a prêté la moitié du sien. 
- Gardez-la, a aussitôt conseillé Latouche, Aurore Sand, ça ne sonne pas mal. 
- Je veux un prénom d'homme, a décidé Aurore, car on n'écoute pas les femmes... Je m'appellerai Georges, comme mon ancêtre Podiébrad, George, sans s, George Sand. 

Annexe - Préface de Jérôme et Jean Tharaud à Histoire de ma vie de George Sand. 

George Sand commença d'écrire ses mémoires dans les derniers mois de 1847 et les premiers de 1848. Mais nous savons par son ami Buloz, avec lequel elle se brouilla et se raccommoda tant de fois, qu'elle avait déjà formé le projet de les écrire dès 35-36, peu après sa rupture avec Musset. Elle les reprit et les acheva près de vingt années plus tard, en 1855. C'est une œuvre où se mêlent vérité et poésie, à propos de laquelle on pourrait dire ce qu'elle dit elle-même des Lettres d'un Voyageur : "Mon intention consistait à rendre compte des dispositions successives de mon esprit d'une façon naïve et arrangée en même temps. " Dans l'Histoire de ma vie, il ne faut pas chercher en effet une autobiographie véritable : les dates et la succession des faits ne sont guère respectées, et George projette sur toutes les choses qu'elle raconte les sentiments qui l'animent au moment où elle écrit. Moins des mémoires en vérité que le roman d'une vie, où elle ne raconte que ce qu'il lui plaît de raconter. (Toute confidence sur ses amours est systématiquement écartée. ) Que signifient ces oublis volontaires, ces omissions, ces sauts par-dessus des années ? Tenait-elle à étouffer dans le secret les moments, souvent les plus pathétiques, les plus importants de sa vie ?

Écriture

I. Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) : 
Quels portraits de George Sand révèlent les textes du corpus ?

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) : 

1. Commentaire

Vous commenterez le passage du texte de George Sand de : "J'étais fortement constituée..." à "... qu'il faut bien que cela soit vrai. " (ligne 9 à ligne 30). 

2. Dissertation

Dans le document présenté en annexe, George Sand précise : "Mon intention consistait à rendre compte des dispositions successives de mon esprit d'une façon naïve et arrangée en même temps. " (ligne 6 à ligne 8). Est-ce là, d'après vous, le principe de toute autobiographie ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et vos lectures personnelles. 

3. Invention

Dans une lettre ouverte, George Sand répond à Charles Baudelaire (cité par Jean d'Ormesson), sur la condition des femmes artistes. 

 

 

ANTILLES GUYANE juin 2002 Baccalauréat général Session 2002 Épreuve anticipée de français

Série L

Objet d'étude : L'épistolaire

Textes

A - Jean Giono, Le Hussard sur le toit, 1954. 
B - Julie de Lespinasse, Mon ami je vous aime, Lettre 7, 1773, 
C - Colette Audry, "Printemps 1990", Rien au-delà, 1990. 

 

Texte A - Jean Giono, Le Hussard sur le toit

Angelo, le héros du livre, est exilé en France où il erre au milieu d'une épidémie de choléra. Au cours d'une des étapes de son périple, il reçoit une lettre de sa mère restée en Italie. 

La lettre était datée de juin et disait : " Mon bel enfant, as-tu trouvé des chimères ? Le marin que tu m'as envoyé m'a dit que tu étais imprudent. Cela m'a rassurée. Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures. J'ai longuement discuté d'imprudence avec ton marin. Il me plaît beaucoup. Il a guetté la Thérèsa à la petite porte ainsi que tu le lui avais recommandé, mais, comme il se méfiait d'un grand garçon de quinze ans qui joue à la marelle tous les jours sur la place de sept heures du matin à huit heures du soir depuis que tu es en France, il a barbouillé la gueule d'un pauvre chien avec de la mousse de savon et le joueur de marelle a pris ses jambes à son cou en criant à la rage. Le soir même, le général Bonetto qui n'a pas inventé la poudre m'a parlé d'une chasse au chien à propos de mon griffon. Je sais donc exactement d'où vient le joueur de marelle maintenant et j'ai fait les yeux qu'il faut pour que le général sache que je sais. Rien n'est plus agréable que de voir l'ennemi changer ses batteries de place. Il y beaucoup de rage à Turin. Tous les jeunes gens qui ont un visage ingrat et une taille au-dessous de quatre pieds et demi sont enragés. La même épidémie ravage les envieux et ceux qui n'ont jamais su être généreux avec leur tailleur. Le reste se porte bien et fait des projets. Il y en a même qui ont la folie de vouloir adopter cette mode anglaise si préjudiciable à l'organdi et aux pantalons collants d'aller manger à la campagne. Ils disent même : jusque près des tombeaux romains. Ce que je trouve exagéré, comme espoir en tout cas. Mais les routes sont les routes. Laissons faire. Les bons marcheurs s'en vont toujours de détour en détour pour voir le paysage qui est après le tournant et c'est ainsi que, d'une simple promenade, ils font parfois une marche militaire. Tout cela serait bien s'il n'y avait pas de moins en moins de gens capables de compter sur leur cœur. C'est un muscle qu'on ne fait plus travailler, sauf ton marin qui me paraît de ce côté être un assez curieux gymnasiarque. Il s'est enthousiasmé d'une bonté de rien du tout que j'ai eue pour sa mère et il est allé faire tourner ses bras un peu trop près des oreilles des deux hommes chamarrés qui ont organisé ton voyage précipité. Ils en sont tombés très malencontreusement malades le jour même. C'est dommage. J'ai pensé que ton marin avait la détente un peu brusque. Je lui ai donné de fort obscures raisons pour qu'il fasse encore un voyage en mer. J'ai été si mystérieuse qu'il s'en est pâmé de bonheur. J'aime viser longtemps. 
Et maintenant, parlons de choses sérieuses. J'ai peur que ne fasses pas de folies. Cela n'empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. 

 

Texte B - Julie de Lespinasse, "Mon ami je vous aime", Lettre 7. 

Lettre extraite de la correspondance de Julie de Lespinasse, adressée à Monsieur de Guibert. 

Huit heures et demie, 1883. 
Mon ami, je ne vous verrai pas, et vous me direz que ce n'est votre faute ! mais si vous aviez eu la millième partie du désir que j'ai de vous voir, vous seriez là ; je serais heureuse. Non, j'ai tort, je souffrirais ; mais je n'envierais pas les plaisirs du ciel. Mon ami, je vous aime comme il faut aimer, avec excès, avec folie, transport et désespoir. Tous ces jours passés, vous avez mis mon âme à la torture. Je vous ai vu ce matin, j'ai tout oublié, et il me semblait que je ne faisais pas assez pour vous, en vous aimant de toute mon âme, en étant dans la disposition de vivre et de mourir pour vous. Vous valez mieux que tout cela ; oui, si je ne savais que vous aimer, ce ne serait rien en effet ; car y a-t-il rien de plus doux et de plus naturel que d'aimer à la folie ce qui est parfaitement aimable ? Mais, mon ami, je fais mieux qu'aimer : je sais souffrir ; je saurai renoncer à mon plaisir pour votre bonheur. Mais voilà quelqu'un qui vient troubler la satisfaction que j'ai à vous prouver que je vous aime. 
Savez-vous pourquoi je vous écris ? c'est parce que cela me plaît : vous ne vous en seriez jamais douté, si je ne vous l'avais dit. Mais, mon Dieu ! où êtes-vous ? Si vous avez du bonheur, je ne dois plus me plaindre de ce que vous m'enlevez le mien. 

 

Texte C - Colette Audry, "Printemps 1990", Rien au-delà

Durant les deux dernières années de sa vie Colette Audry, athée, échange avec un moine bénédictin une longue correspondance. Voici la dernière lettre qu'elle lui ait écrite. 

14 juin 1990. 

Cher François, 
Je ne veux pas attendre, en ces moments où je retrouve une plume comme un prolongement naturel de moi, et où je découvre qu'une partie de mon ennui (au sens fort !) venait de ce que j'ignorais ma mutilation, il faut que je vous dise - vous le savez peut-être, mais rien qu'un peu et vous savez mal ce que cela signifie - ce que vous aurez été pour moi : pendant deux ans au moins, davantage j'espère, vous m'aurez fait connaître ce qu'il peut y avoir de douceur dans la vie. 
La joie de l'effort abouti, de la marche sur un sentier de crête, au bord d'une falaise, on ne peut s'en prendre qu'à soi si on ne connaît pas. La joie d'étonner, de plaire, d'être admiré, j'ai connu ; la joie de parler, d'écouter, de comprendre aussi ; et aussi la joie d'être étonnée soi-même. Mais la douceur de la vie, on peut mourir sans l'avoir connue. Je l'ai entrevue à la naissance de mon fils et pendant ses toutes premières années de vie, mais, enfin, ça manquait tout de même de vraie réciprocité. 
La douceur, je l'ai connue par vous. Et ce n'est pas une petite chose. Et vous n'étiez, pas plus que moi, dressé à ça. Il y a beaucoup d'autres choses, mais il n'y a rien au-delà. 

 

Écriture

I. Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) : 
Après une lecture attentive de ces trois lettres, dites si elles font le portrait de celui qui écrit la lettre ou de celui à qui elle est adressée. 
Justifiez brièvement votre réponse. 

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) : 

1. Commentaire

Vous commenterez l'extrait du texte de Giono, de "J'ai longuement discuté..." à "J'aime viser longtemps. " (ligne 4 à ligne 30)

2. Dissertation

Julie de Lespinasse écrit : "Savez-vous pourquoi j'écris ? C'est parce que cela me plaît. " (ligne 13). Pensez-vous que ce soit la seule motivation de l'auteur d'une lettre ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles. 

3. Invention

Poursuivez la lettre de la mère d'Angelo en respectant la situation d'énonciation et en développant la thèse paradoxale soutenue par le personnage. 

 

 

 

ANTILLES - GUYANE 

Baccalauréat technologique - session 2002 Français toutes séries

Durée de l'épreuve : 4 heures Coefficient : 2

Objet d'étude : Théâtre et représentation

Textes

A - Molière (1622 - 1673), extrait de l'acte II, scène 4, Dom Juan, 1655
B - Beaumarchais (1732 - 1799), extrait de l'acte V, scène 7, Le Mariage de Figaro, 1781. 
C - Edmond Rostand (1866 - 1918), acte III, scène 10 (vers 1504 - 1539), Cyrano de Bergerac, 1897. 

 

Texte 1 - Molière, Dom Juan

MATHURINE
Pour obtenir les faveurs d'une jeune paysanne, Charlotte, Dom Juan, un grand seigneur, lui a promis qu'il l'épouserait. Mais Mathurine, une autre paysanne à qui il a fait la même promesse, survient.

MATHURINE, à Dom Juan - Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous. 

CHARLOTTE, à Dom Juan - Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Tout ce que vous direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête. 

CHARLOTTE - Quement donc ? Mathurine...

DOM JUAN, bas à Charlotte - C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie. 

MATHURINE - Est-ce que... ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. 

CHARLOTTE - Je voudrais...

DOM JUAN, bas à Charlotte - Elle est obstinée comme tous les diables. 

MATHURINE - Vrament...

DOM JUAN, bas à Mathurine - Ne lui dites rien, c'est une folle. 

CHARLOTTE - Je pense...

Don Juan, bas à Charlotte - Laissez-la là, c'est une extravagante. 

MATHURINE - Non, non : il faut que je lui parle. 

CHARLOTTE - Je veux voir un peu ses raisons. 

MATHURINE - Quoi ?

DOM JUAN, bas à Mathurine - Gageons qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser. 

 

Texte B - Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

SUZANNE, suivante de la comtesse Almaviva, va épouser le valet Figaro. Mais le comte Almaviva, qui la désire, veut obtenir ses faveurs. Suzanne avertit sa maîtresse et son fiancé. Pour ramener à elle son époux, la comtesse décide de prendre la place de Suzanne, lors d'un rendez-vous que le comte lui a fixé dans le jardin, à la tombée de la nuit. Figaro, mis au courant de la rencontre, assiste à la scène. 

LE COMTE prend la main de la femme : Mais quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la Comtesse ait la main aussi belle !

LE COMTESSE, à part : Oh ! la prévention !

LE COMTE : a-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ?

LE COMTESSE, de la voix de Suzanne : Ainsi l'amour ?...

LE COMTE : L'amour... n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à vos genoux. 

LE COMTESSE : Vous ne l'aimez plus ?

LE COMTE : Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union rendent l'hymen (1) si respectable !

LE COMTESSE : Que vouliez-vous en elle ?

LE COMTE, la caressant : Ce que je trouve en toi, ma beauté...

LE COMTESSE : Mais dites donc. 

LE COMTE : ... Je ne sais : moins d'uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières ; un je ne sais quoi, qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant ; cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment ! (quand elles nous aiment. ) Et sont si complaisantes, et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu'on est tout surpris, un beau soir, de trouver la satiété, où l'on recherchait le bonheur !

LE COMTESSE, à part : Ah ! quelle leçon !

LE COMTE : En vérité, Suzon, j'ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c'est qu'elles n'étudient pas assez l'art de soutenir notre goût, de se renouveler à l'amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession, par celui de la variété. 

LE COMTESSE, piquée : Donc elles doivent tout ?...

LE COMTE, riant : Et l'homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous, fut de les obtenir : la leur...

LE COMTESSE : La leur ?

LE COMTE : Est de nous retenir : on l'oublie trop. 

LE COMTESSE : Ce ne sera pas moi. 

FIGARO, à part : Ni moi. 

SUZANNE, à part : Ni moi. 

LE COMTE prend la main de sa femme : il y a de l'écho ici ; parlons plus bas. 

 

Texte C - Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

La scène se passe à Paris, au XVIIème siècle. Cyrano, aussi célèbre pour ses prouesses militaires que pour son physique disgracieux, aime sa cousine Roxane. Mais celle-ci lui a confié qu'elle aime le beau Christian et en est aimée. Elle reproche cependant à ce dernier de ne pas savoir lui parler d'amour. Prêt à se sacrifier, Cyrano, poète à ses heures, décide d'aider Christian. Ainsi, quand celui-ci, dissimulé avec Cyrano sous le balcon de Roxane, la désespère par la maladresse de son discours amoureux, Cyrano décide-t-il de venir en aide à son rival en se faisant passer pour lui. 

ROXANE, s'avançant sur le balcon

C'est vous ?

Nous parlions de... de... d'un...

CYRANO

Baiser. Le mot est doux !
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ; 
S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement : 
N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, 
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d'insensible façon : 
Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson !

ROXANE
Taisez-vous !

CYRANO
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, 
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; 
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, 
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, 
Une communion ayant un goût de fleur, 
Une façon d'un peu se respirer le cœur, 
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme !

ROXANE
Taisez-vous !

CYRANO
Un baiser, c'est si noble, madame, 
Que la reine de France, au plus heureux des lords, 
En a laissé prendre un, la reine même !

ROXANE
Alors !

CYRANO, s'exaltant. 
J'eus comme Buckingham (2) des souffrances muettes, 
J'adore comme lui la reine que vous êtes, 
Comme lui je suis triste et fidèle...

ROXANE
Et tu es
Beau comme lui !

CYRANO, à part, dégrisé. 
C'est vrai, je suis beau, j'oubliais !

ROXANE
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille...

CYRANO, poussant Christian vers le balcon
Monte !

ROXANE
Ce goût de cœur...

CYRANO
Monte !

ROXANE
Ce bruit d'abeille...

CYRANO
Monte !

CHRISTIAN, hésitant
Mais il me semble, à présent, que c'est mal !

ROXANE
Cet instant d'infini !...

CYRANO
Monte donc, animal !

Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers, atteint les balustres qu'il enjambe. 

CHRISTIAN
Ah ! Roxane !

Il l'enlace et se penche sur les lèvres ; 

CYRANO
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
Baiser, festin d'amour, dont je suis le Lazare ! (2)

 

(1) mariage
(2) duc anglais, amant de la reine de France dans Les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas.
(3) Personnage de l'évangile, pauvre et malade, qui vivait des restes de festin de la table d'un riche. 

ÉCRITURE

I - Après avoir pris connaissance de l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord aux questions suivantes (6 points)

1 - Quels sont les éléments communs aux trois textes (situation, personnages, etc.) ?
2 - Comment s'établit dans chacun d'eux la complicité avec le spectateur ?

II Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (14 points) :

1- Commentaire

Vous commenterez le texte d'E. Rostand en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- Vous étudierez la stratégie de séduction déployée par Cyrano pour arriver à ses fins.
- Vous montrerez, en vous appuyant sur des références précises, que le texte mêle étroitement les registres pathétique et comique.

2 - Dissertation

A partir du corpus, de vos lectures et de votre expérience de spectateur, vous vous demanderez en quoi la mise en scène d'une œuvre théâtrale en constitue, à sa manière, une interprétation.

3 - Invention

Imaginez un monologue dans lequel un personnage prépare la déclaration d'amour mensongère qu'il s'apprête à faire à un autre. Il en juge, au fur et à mesure, la qualité et en prévoit les effets. Vous n'oublierez pas de donner, au fil du texte, les indications de mise en scène que vous jugez nécessaires.

 

 

 

BACCALAURÉAT GÉNÉRAL - SESSION 2002

LITTÉRATURE

Durée : 2 heures L’usage des calculatrices est interdit

Le candidat traitera l’un des deux sujets qui lui sont proposés et, pour le sujet choisi, il traitera dans l’ordre qui lui plaira les deux questions.

SUJET 1 : UNE TRAGÉDIE DE SOPHOCLE

Question 1 (12 points)

Quelles significations donnez-vous à l’isolement du héros tragique dans la tragédie de Sophocle que vous avez étudiée ?

Question 2 (8 points)

« Ils pensent comme moi, mais ils tiennent leur langue », dit Antigone en désignant les vieillards de Thèbes.
Dans la tragédie de Sophocle que vous avez étudiée, le chœur tient-il sa langue ?

 

SUJET 2 : LEVI : SI C’EST UN HOMME

Question 1 (12 points)

En recourant dans Si c’est un homme « au langage sobre et posé du témoin », Primo Levi s’interdit-il de provoquer l’émotion du lecteur ?

Question 2 (8 points)

Le Lager est-il une tour de Babel ?

 


Dernière modification le 14/09/2006
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