Commentaire du monologue de Lise
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L'Illusion comique : Acte III, scène 6 (Monologue de Lise)

I Commentaire suivi

Si l'importance d'un personnage de théâtre peut se déterminer par le rôle qu'il joue dans l'intrigue aussi bien que par le temps de sa présence sur scène, nul doute alors que Lyse, dans L'Illusion comique de Corneille soit le troisième personnage influent après Clindor et Isabelle. Le monologue qui la montre en train de délibérer avec elle-même à l'acte III, scène 6 en est une preuve. Du choix qu'elle est en train de faire dépend en effet le sort de Clindor. Dans la scène précédente, l'amoureux d'Isabelle lui a révélé que bien qu'engagé auprès de sa maîtresse, il n'était pas indifférent, bien au contraire, à ses propres charmes et que, même non marié, il s'accommoderait fort bien simultanément d'une épouse et d'une maîtresse, la seconde n'étant pas la plus à plaindre.

Lyse est donc en proie à un dilemme : doit-elle continuer à chercher à se venger ou doit-elle céder à l'attirance toujours forte pour Clindor ? 

C'est une femme en colère que le spectateur entend au début de la scène 6. Cette mauvaise humeur se traduit par des phrases exclamatives et ironiques. Le " enfin " du vers 823 montre qu'aux yeux de Lyse Clindor semble s'être aperçu trop tardivement de sa beauté, comme si celle-ci n'était pas visible quelques heures ou quelques jours plus tôt. Mais il traduit aussi la patience de Lyse qui a dû ronger son frein en attendant que Clindor s'aperçoive qu'elle est " charmante ". Elle n'est pas pour autant satisfaite de ce réveil tardif car pour elle Clindor n'est pas sincère, " il contrefait l'amant " et veut seulement s'amuser à ses dépens en lui faisant croire à un amour qu'en réalité il feint. Cette femme irritée est aussi une femme intelligente qui a une certaine idée d'elle-même. En tout cas elle est capable de s'exprimer comme une femme de qualité. Son emploi du mot " feux " pour désigner l'attirance qu'elle éprouve depuis longtemps pour Clindor l'atteste. Il ne fait pas de doute que Lyse doute de la sincérité de Clindor. Le revirement amoureux du jeune homme s'explique pour elle par le désir de se jouer d'elle-même : il ne l'aime que " par raillerie " et ne la " prend " que pour en faire " le jouet de sa galanterie " (vers 826). Sa lucidité met donc à nu le cynisme de cet amant qui ne craint pas de lui avouer qu'il ne lui sera pas fidèle (elle parle de " libre aveu de [lui] voler sa foi ", le mot " foi " ayant ici le sens de fidélité). C'est la même clairvoyance qui lui révèle le paradoxe d'un amour qui pourrait se passer de la présence de l'aimée. Ce qu'elle exprime en notant (au vers 828) qu'il lui jure qu'il l'adore et ne veut pourtant point d'elle.

Un mot résumerait ici le grief de Lyse, mot qui lui est venu comme spontanément sur les lèvres, Clindor est un " ingrat " (vers 823), ingrat parce que l'amour qu'elle éprouve pour lui est disproportionné en regard de ce qu'il lui offre.

A partir du vers 829, sa colère semble être montrée d'un cran. Clindor est devenu maintenant " perfide " mais surtout, Lyse qui dans la scène précédente s'était montrée fort discrète, par émotion ou pour mieux cacher son jeu, à présent, malgré son absence, elle lui dit ses quatre vérités comme s'il était présent, ce qui peut être joué de manière à produire un effet comique. 

La phrase du vers 829 au vers 834 est gouvernée par cinq verbes à l'impératif qui signifient comme une fin de non-recevoir de Lyse. Le caractère volage, inconstant, intéressé de Clindor ainsi que sa duplicité se trouvent fustigés avec force. Lyse semble non seulement s'armer contre elle-même, pour ne pas faiblir devant les défauts trop évidents du serviteur de Matamore, mais encore elle affirme par la même occasion une solidarité d'autant plus inattendue avec Isabelle qu'elle se trouve en réalité en compétition avec elle.

La servante semble avoir les yeux décillés. Elle a conscience de sa valeur et elle semble prête à défendre une certaine cause féminine au nom de la sincérité des sentiments. C'est presque une jeune femme révoltée devant le cynisme des hommes qui parle (" Mais ne crois plus tromper aucune de nous deux "). Si elle a su dissimuler ses sentiments c'était pour voir jusqu'où irait Clindor et pour ne pas éveiller sa méfiance. Son sang-froid lui permettra d'exercer une vengeance légitime. Et elle a pour justifier sa conduite une maxime forgée pour la circonstance " Qui cache sa colère assure sa vengeance ", dit-elle. Dès lors, le piège qu'elle a préparé devient légitime et certain. C'est un acte de justice qui la rapproche d'Isabelle et lui permet d'ignorer qu'elle-même en la circonstance jouait un rôle peu honorable auprès de sa maîtresse qu'elle a laissée dans l'ignorance de ses sentiments.

Lyse a laissé éclater son " ressentiment " pendant dix-neuf vers ; ses scrupules seront plus brefs de la moitié. Ce revirement d'intention est souligné par le connecteur logique " toutefois " en tête de vers (v. 841). Les raisons du cœur pourraient-elles être plus fortes que l'intelligence de la situation qu'elle vient de montrer qu'elle possède ?

Elle se demande à présent si la conduite de Clindor, jeune homme sans bien, n'est pas excusable. Cette indulgence s'exprime sous forme de fausse question généralisante " Pour chercher sa fortune est-on si punissable ? " L'amour de Clindor apparaît crédible et est mis en avant. Les défauts qu'il vient de montrer seraient imputables à la gêne dans laquelle il vit. Troisième argument : ce type de conduite n'a rien d'exceptionnel. Il est même d'un usage courant " Au siècle où nous vivons ".

Aux impératifs singuliers du mouvement précédent font pendant des impératifs à la première personne du pluriel qui concerne Lyse elle-même et l'encourage à oublier les offenses récentes et à accepter Clindor tel qu'il est :(" laissons-le jouir du bonheur qu'il mérite "). Un bref raisonnement semble résoudre le dilemme amoureux : 

" S'il m'aime, il se punit en m'osant dédaigner,
Et si je l'aime encor, je le dois dédaigner "

Dans le premier cas (l'amour de Clindor est sincère), il se punit lui-même en restant aveugle aux mérites de Lyse ; dans le second (l'amour de Lyse l'emporte malgré les torts réels de Clindor), au nom de l'amour Lyse doit se garder de lui nuire.

La servante d'Isabelle, comme on le voit, sait raisonner, ou du moins elle s'y exerce avec talent tout en montrant une générosité qui l'honore.

Notons que l'énonciation a changé : Clindor n'est plus l'interlocuteur fictif qu'il était encore dans la phrase précédente, Lyse parle de lui maintenant avec plus de distance, il est redevenu une troisième personne du singulier, preuve que la colère est retombée. 

Si le propre de la réflexion est le retour sur soi-même, alors Lyse est bien un être réfléchi. Un troisième mouvement en effet se fait jour à partir de l'exclamation " Dieux ! " (v. 849). L'ingratitude redevient le tort dominant du jeune homme. (" à quoi me réduit ma folle inquiétude / De vouloir faire grâce à tant d'ingratitude ? "). De manière solennelle et grandiloquente sa " soif de vengeance " est apostrophée. Elle est jugée " digne ", comme le courroux est jugé " juste ". Lyse considère maintenant comme une faiblesse le pardon qu'elle était prête à accorder. Deux phrases exclamatives font ressortir son sentiment de dérision. Elle est bien trop naïve : l'amour de Clindor n'est pas crédible.

L'amour de l'un pour l'autre était aux vers 847-848 évoqué sous forme hypothétique, aux vers 853-854 il l'est cette fois sous forme ironique et cette ironie a valeur de réfutation. Les deux constructions parallèles comportent des " et " (vers 853 et 854) qui ont valeur de conséquence démontrant de manière implicite qu'il ne saurait être question d'amour. La démonstration est renforcée par la rime riche " risée ", " méprisée ", les deux termes négatifs réduisant à néant toute possibilité de voir de l'amour dans la situation telle qu'elle est.

Lyse doit se raidir et presque se faire violence pour accepter que le châtiment l'emporte sur l'affection (" Silence, amour, silence : il est temps de punir ; ")

Après avoir apostrophé " sa digne soif de vengeance ", Lyse apostrophe (vers 855) son " amour " et si l'une a été en quelque sorte réactivée l'autre doit être mis en sommeil. L'amour, comme le montrera Racine aime passer d'un extrême à l'autre : on veut tout le bien pour celui qu'on aime ou tout le mal. Lyse se soumet à cette alternative ultime :

" Puisque ton faux espoir ne fait qu'aigrir ma peine,
Fais céder tes douceurs à celle de la haine. "

Les deux vers de la fin ne font qu'affirmer une résolution ferme qui enclenche sans hésitation possible le sort de Clindor.

Lyse est une jeune femme réfléchie. Son caractère sérieux et posé ne l'empêche pas d'être aussi une femme d'action. Le spectateur pourra le constater dans la scène 2 de l'acte IV. La scène 6 de l'acte III l'a montrée quelque peu troublée par la déclaration de Clindor. Une autre à sa place s'y serait peut-être laissée prendre. Lyse au contraire a pris le temps de peser les mots de Clindor et d'en mesurer les effets. Ce monologue aura introduit une pause dans l'action, sans pourtant infléchir le cours de ce qui était engagé. Les scènes suivantes montreront que si Lyse accomplit bien sa vengeance grâce à Adraste, elle saura aussi réparer le mal qu'elle a fait en faisant plus que pardonner à Clindor. Elle préparera activement son évasion en promettant au gardien de l'épouser et continuera même par la suite à être la compagne du jeune couple réuni.

 

II Plan pour un commentaire composé

Introduction (voir le commentaire suivi)

I Un monologue délibératif (révélé par la composition)

  1. Sa première réaction est dictée par l'humeur. Elle s'exprime par un terme qui ressemble à une insulte " L'ingrat ! "
  2. Un examen en trois temps
    bullet Du début jusqu'à " à mes yeux " (v. 840)
    bullet De " Toutefois " jusqu'à " tant d'ingratitude ? " (v. 850)
    bullet De " Digne soif de vengeance... " Jusqu'à la fin.
  3. L'énonciation révélatrice :
    bullet Elle s'adresse à Clindor
    bullet Puis à elle-même : " Oublions... " (vers 845) " Et laissons-le " (vers 846)
    bullet Ensuite c'est sa " digne soif de vengeance " (vers 851) qui est apostrophée, puis son " amour " (vers 855)
    bullet  le jeu des impératifs et le tutoiement
  4. Des reprises significatives :
    bullet " S'il m'aime... " et " Si je l'aime " (vers 847-848)
    bullet " Il m'aime, et ... " ; " Je l'aime, et ... " (vers.853-854)
    bullet Indices que Lyse s'efforce de raisonner avec rigueur. Elle délibère bien avec elle-même si délibérer c'est " discuter en vue d'une décision à prendre ; étudier ". Loin donc d'être impulsive Lyse prend ses décisions en connaissance de cause. 
  5. Un dilemme résolu. A la fin du monologue, Lyse a fixé la conduite qu'elle doit adopter.

II Une jeune femme réfléchie et déterminée

  1. Les sentiments de Lyse à l'égard de Clindor : amoureuse mais son amour ne lui monte pas à la tête. Elle garde toute sa lucidité pour appréhender les qualités et les défauts de celui qu'elle aime. 
  2. Les sentiments de Lyse à l'égard d'Isabelle. Essentiellement de l'amitié et du respect fondé sur l'amitié et la solidarité féminine.
  3. Le caractère qu'on peut lui prêter (voir le jugement de Corneille dans son Examen) : de la fierté qu'on n'attendrait pas aussi ferme chez une servante ou plutôt ce qu'elle semble être une dame de compagnie.

III Une scène de réflexion et d'attente qui permet de relancer l'intérêt dramatique

  1. Rappel des fonctions du monologue au théâtre. Pause entre deux scènes d'action mais qui laisse préfigurer la suite.
  2.  Les questions que se posent les spectateurs : que va-t-il advenir de Clindor ? Comment Isabelle réagira-t-elle devant son amour menacé ? Et Lyse qui respecte sa maîtresse pourra-t-elle rester indifférente devant le malheur de celle qui est bien plus qu'une patronne ?
  3. Le caractère intéressant de Lyse

Conclusion (voir le commentaire suivi)

 


Dernière modification le 14/09/2006
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