Corrigé d'un travail d’écriture d’invention
1 Objet d’étude : la poésie
RAPPEL DU SUJET
A l’occasion de la manifestation culturelle du
Printemps des poètes, les organisateurs vous confient la rédaction d’un
discours dans lequel vous défendez votre goût pour la lecture (et
peut-être pour l’écriture) de la poésie, dans une société où
elle n’est pas particulièrement à l’honneur.
2 Exemple de réponse
Mesdames et Messieurs,
Si je suis devant vous aujourd’hui, c’est pour
vous parler de poésie. Les organisateurs du Printemps des poètes m’ont
confié cet honneur et cette redoutable tâche. Redoutable en effet, car
se faire le défenseur et l’avocat, de cet art est une responsabilité
particulièrement lourde, surtout quand on craint de n’être pas à la
hauteur. Aussi réclamerai-je et votre indulgence et votre attention car
c’est de la part du divin en l’homme dont il va être question.
Je partirai d’un constat. La poésie ne subsiste
plus aujourd’hui, dans notre société, que sous des formes
dégradées. Ce sont la chanson et pis encore la publicité qui la
représentent auprès du public qui n’a pas un accès courant à la
culture. On m’objectera que les libraires continuent à vendre des
livres de poésie. La collection « Poésie/Gallimard », par exemple,
est riche de dizaines de titres et met à la disposition de tous, pour
un prix modique, toute la poésie patrimoniale, de Maurice Scève à
Saint-John Perse, ou peu s’en faut.
Vous aurez déjà noté que j’ai choisi comme
représentant de la poésie contemporaine un auteur qui a cessé de
publier à peu près au milieu du siècle dernier. N’y a-t-il donc pas
des poètes plus représentatifs des manières de ressentir actuelles ?
Jacques Roubaud, Yves Bonnefoy : voici des poètes encore vivants et
dont les oeuvres sont publiées dans la collection que je viens de
citer. Mais qui les connaît ? Qui est imprégné de leur univers et de
leur pensée ? Qui pourrait citer de mémoire leurs vers ? Un sur dix
mille ? Moins encore ? Et à côté des deux poètes que je viens de
nommer, combien d’autres publient et écrivent dans l’indifférence
presque générale. Tout le drame de la poésie est là. Je vous
rassurerai néanmoins : la poésie ne peut disparaître. Si elle
disparaissait, l’homme aussi aurait cessé d’être. Constamment, on
la réinvente et elle demeure cette part en chacun de nous, qui s’attendrit,
qui frémit, s’indigne, s’enthousiasme, se révolte ou s’élève.
Je viens de dire s’élève et aussitôt me reviennent à l’esprit
les vers d’Élévation :
Et comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Il y a mille genres de poésies ! Cet art du «
faire », autrement dit de la création pure, selon son étymologie, est
non seulement phénix mais aussi Protée. Chacun se crée la forme de
poésie qui lui convient, à partir des auteurs qu’il aime et dont il
apprend les vers. Oui, il se les récite par cœur, parce que cette remémoration
est suscitée par des circonstances qui sont
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité.
Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal.
C’est alors que l’on se sent gonflé d’une
force nouvelle. Notre moi modeste se trouve renforcé du moi immense de
Baudelaire. Non pas que l’auteur du Châtiment de l’orgueil,
ait été orgueilleux mais ce qu’il a écrit se trouve renforcé de l’approbation
des milliers de lecteurs qui l’ont aimé et nous bénéficions de
cette force.
Je suis chez moi, rêveur, je regarde par la
fenêtre et aussitôt me viennent à la bouche les mots d’Eluard :
Le front aux vitres comme font les veilleurs de
chagrin.
Bientôt remplacé par :
Jours de lenteur, jours de pluie,
Jours de miroirs brisés et d’aiguilles perdues,
Jours de paupières closes à l’horizon des mers,
D’heures toutes semblables, jours de captivité,
Paul ELUARD, « Leurs yeux toujours purs
»
Capitale de la douleur.
La poésie nous aide à vivre et je plains ceux
qui en sont privés ! Ceux qui n’ont pas la chance immense d’être
hanté par les mots merveilleux de ces géants (ou pour être plus
précis « ces princes des nuées » aux « ailes de géant »). Elle
est une manière de voir le monde et de sentir, qui nous ennoblit.
Penser en poète, c’est savoir de manière intime que la beauté
existe, qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour la trouver presque
partout. Francis Ponge, Baudelaire, Rimbaud nous l’ont appris. Mais ne
le savions-nous pas déjà ?
Me permettrez-vous de vous faire une confidence ?
Il m’est arrivé - Oh ! il y a très longtemps - de me sentir
désespéré. Pour surmonter mon dégoût, je me répétais en marchant
ces vers de Rimbaud : « Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans
gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : «
Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu
vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera
pas plus que si tu étais cadavre. » (Une Saison en enfer) Je me
sentais alors le courage, comme le dit le René de Chateaubriand de «
créer des mondes ».
Mais à côté de cette poésie d’auto-défense,
si l’on peut dire, il y en a une autre plus souriante et plus
apaisée, plus sereine. Mille poètes et cent mille vers, disais-je !
Connaissez-vous ceux-ci :
Alentour naissaient mille bruits
ais si pleins encore de silence
Que l’oreille croyait ouïr
Le chant de sa propre innocence
Jules SUPERVIELLE, « Le matin du monde
», Gravitations.
Qui a écrit ces vers, que je me récite quand je
me sens fatigué, « Dieux que ne suis-je assise à l’ombre d’une
clairière / Quand pourrais-je suivre de l’oeil un char fuyant dans la
carrière ? » ? Ou encore ceux là :
Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.
Vous avez deviné ? A la bonne heure ! Oui, il s’agit
bien de Racine (Phèdre) et de Mallarmé.
A quatorze ans, en dehors du milieu scolaire, j’ai
découvert la poésie avec Jacques Prévert. Paroles m’a ravi.
C’est une poésie très accessible, moderne, tendre et anarchiste,
animée d’un anticonformisme qui était comme la jeunesse même. Je me
réjouissais et jubilais avec celui qui a écrit « Barbara » et «
Chasse à l’enfant ». Plus tard, j’ai appris à apprécier des
œuvres plus classiques, le Victor Hugo des Contemplations, le
Lamartine du « Lac » ou de « L’isolement » mais aussi Henri
Michaux et René Char, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et bien d’autres
encore. Je suis loin d’être le seul à avoir suivi un tel
itinéraire.
Mais vous, qu’attendez-vous ? Ne savez-vous pas
« que la poésie doit être faite par tous » (Lautréamont). Vous ne m’en
voudrez pas si je vous dis encore quelques vers, n’est-ce pas ? :
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.
Et voilà qu’au cœur de l’été et de Midi, je te découvre Terre
promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un
aigle.
Léopold Sédar SENGHOR, « Chants d’ombre
».
Regardons nos vies d’hommes et de
femmes pressés, de consommateurs gavés de loisirs dérisoires, repus
de films bêtes et violents et demandons-nous, comme André Breton le
fait dans le préambule de Nadja, « ce qu’entre tous les
autres [nous sommes] venu[s] faire en ce monde et de quel message unique
[nous sommes] porteur[s] ». La poésie nous aide à répondre à ce
genre de questions, comme elle aide les hommes, sinon à « changer la
vie » du moins à avoir envie de la changer. Car la poésie, en fin de
compte, ne fait rien d’autre que d’élargir « le champ du possible
».
En attendant, faute de pouvoir vivre
Là où tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté
(Charles BAUDELAIRE)
allons... « Rouler aux blessures, par
l’air lassant et la mer ; aux supplices, par le silence des eaux et de
l’air meurtriers ; aux tortures qui rient, dans leur silence
atrocement houleux. » (A. RIMBAUD, « Angoisse », Illuminations).
Mais comme cette note, stoïque et douloureuse, en
effraiera sans doute certains, je m’efforcerai de conclure d’une
façon plus conforme à mon sujet « printanier ». Je vous
demanderai donc, avec Jules Supervielle, d’être « bon pour le poète
»
[...]
Le plus doux des animaux
Nous prêtant son cœur, sa tête
Incorporant tous nos maux
Il se fait notre jumeau
[...]
Il traduit en langue nette
Nos infinitésimaux.
(« L’interprète », Jules
SUPERVIELLE, L’Escalier, 1926.)
Mesdames et Messieurs, au nom de la Poésie dont j’espère
avoir été l’humble serviteur, je vous remercie de votre patience.